On vit dans une époque où il est facile de se fier aux playlists Spotify et autres algorithmes omniprésents pour découvrir de nouvelles musiques. Lorsque Valérie Lacombe, batteuse chevronnée, nous a parlé de jazz, elle suggérait aux auditeurs novices de demander aux musiciens quels étaient les albums qui les avaient initiés au jazz. Justement, au cas où vous vous posiez la question, les albums qui lui ont donné une porte d’entrée sont Night Train, d’Oscar Peterson et Soul Station, de Hank Mobley.
C’est donc ce que nous avons fait, avec pour résultat l’ultime liste de lecture jazz pour amateur néophyte. Cette compilation, tout comme nos musiciens montréalais, est représentative de la diversité de cette musique. On vous invite à prêter l’oreille à leur matériel original, ainsi qu’aux recommandations d’albums qu’ils vous offrent. Gâtez-vous!
Incursion dans l’univers du jazz
Pour le phénoménal pianiste de jazz Taurey Butler, il n’y a pas exactement un album qui a tout déclenché. « Je pense que la manière dont j’ai développé mon amour du jazz ressemble beaucoup à la manière dont on tombe amoureux dans n’importe quelle relation. La plupart du temps, il ne s’agit pas d’une seule rencontre, mais d’une série de rendez-vous au cours desquels la passion se développe au fil du temps », déclare-t-il. N’est-ce pas magnifique? Le premier album qu’il a reçu de son directeur d’orchestre à l’école a été un véritable déclic. « L’album d’Oscar Peterson a été un véritable catalyseur qui a amorcé mon parcours », dit M. Butler. S’en est suivi le coffret Exclusively, For My Friends, suivi de Burstin’ Out et Night Train, toujours du canadien Oscar Peterson, reconnu pour être l’un des meilleurs pianistes de tout le temps. « Ensuite, il y a eu Kind Of Blue de Miles Davis et Album Of The Year de Art Blakey’s Jazz Messengers avec Wynton Marsalis », poursuit le pianiste.
La télévision a également eu une influence dans la jeunesse de Taurey Butler. « Le jeu de piano de Johnny Costa dans l’émission Mister Rodgers’ Neighborhood; on l’appelait le “White Art Tatum”. J’aimais beaucoup la musique de l’émission. Mais en y repensant, je crois que le jazz s’est révélé à moi très tôt par l’intermédiaire de Charlie Brown et de la bande de Peanuts », raconte-t-il.
Charlie Brown et ses amis ont également donné à la chanteuse prodige Caity Gyorgy le goût du jazz très tôt. « Je ne me rendais pas compte à l’époque, mais l’album A Charlie Brown Christmas du Vince Guaraldi Trio est le premier disque de jazz que je me souvienne avoir aimé. Mon père mettait ce disque en boucle dans la voiture à partir du 1er décembre, et j’en chantais les solos, sans me rendre compte que, du haut de mes 9 ans, j’étais techniquement en train de les transcrire! J’attendais le moment d’écouter cet album tout le reste de l’année. Il reste l’un de mes préférés à ce jour », nous confie la jeune chanteuse de 25 ans, deux fois lauréate d’un prix Juno. À notre humble avis, c’est un album à écouter à l’année longue!
Modibo Keita, tromboniste et fondateur de la série de spectacles d’improvisation hip-hop et R&B The Shed, ainsi que programmateur lors de la dernière édition du Festival international de jazz de Montréal, nous raconte ses débuts. « L’album de jazz qui m’a donné ma grosse claque est Nothing Serious, de Roy Hargrove. Cet album, selon moi, est un des rares classiques qui soit sorti après que j’ai commencé à jouer mon instrument. On y trouve un regard vers le passé à travers la présence de Slide Hampton, et un clin d’œil au futur à travers Roy Hargrove, avec des arrangements de maîtres et un band en feu », dit-il de cette œuvre, parue en 2018.
La saxophoniste Claire Devlin a dû plonger dans sa bibliothèque iTunes jusqu’en 2009 pour répondre à la question. « L’un des albums qui m’a fait découvrir le jazz lorsque j’étais adolescente est Moore Makes 4 by the Ray Brown Trio & Ralph Moore. Il contient des standards classiques du jazz et le groupe swing à fond. En tant que jeune joueuse de ténor, l’écoute de cet album a été un excellent moyen de commencer à comprendre le langage du jazz d’une manière qui me paraissait accessible », raconte-elle.
Le contrebassiste Adrian Vedady a trouvé sa voie à travers les piliers du jazz. « L’album qui m’a fait découvrir le jazz est celui de Thelonious Monk with John Coltrane. Ma copine possédait quelques albums de jazz de Charlie Parker, Miles Davis, Chet Baker et Monk. Cela a véritablement changé ma conception de la musique. J’aimais le son et la sensation de la musique. Même si je ne comprenais pas ce qui se passait à l’époque, je suis tombé amoureux de cette musique », se souvient-il.
Pianiste, accordéoniste et auteure-compositrice-interprète, Claude Hurtubise a grandi en écoutant la musique que son père faisait jouer, rencontrant au passage Keith Jarret, Nina Simone, Miles Davis, Bémol 9, et bien d’autres encore. Pendant qu’elle étudie la musique classique à l’école secondaire, elle découvre l’improvisation, qui devient un terrain de jeu fertile et l’oriente vers l’étude du jazz au cégep. « Je me souviens avoir reçu l’album The individualism of Gil Evans pour noël quand j’avais 17 ans. Je l’ai écouté en boucle et c’est ce qui m’a décidé à compléter la technique en composition et arrangement à Saint-Laurent. Je trouvais incroyable de mixer des instruments pour créer de nouvelles textures sonores. D’ailleurs je recommande cet album aux arrangements somptueux qui nous plongent dans un monde mystérieux et cinématographique », affirme la musicienne.
De même, c’est l’improvisation qui a poussé l’interprète, compositrice, productrice et pédagogue Sarah Rossy à se plonger dans l’universe du jazz – une pratique qui allait s’avérer déterminante pour l’artiste. Aux amateurs de musique d’influence jazz, elle recommande Alcanza, du pianiste cubainFabian Almazan. : « Il a écrit cette suite pour trio de jazz, vocaliste et quatuor à cordes. C’est un arrangement pour cordes des plus complexes et des plus beaux, qui s’inspire de la musique cubaine, de la musique classique et de la tradition du jazz. C’est très intéressant, très dynamique et c’est toute une aventure – je crois que ça dure une heure.
Pour aller plus loin
Vous en voulez plus? Voilà qui est fait! Voici d’autres recommandations pour les amateurs de jazz prêts à passer au niveau supérieur.
« Il y deux albums que je conseille aux amateurs de jazz. Le premier est Ella and Basie!, un album incroyable du Count Basie Orchestra avec Ella Fitzgerald, datant de 1963. Les arrangements ont été réalisés par Quincy Jones et l’ensemble de l’album swing à fond. Je considère que cet album est idéal pour les amateurs de jazz comme pour les personnes qui commencent à s’intéresser à cette musique. Non seulement il est très accessible, mais lorsqu’on écoute bien les arrangements et le jeu, on s’aperçoit que le groupe est d’un niveau très élevé. Le tempo de l’ensemble du groupe semble parfaitement maîtrisé, ce qui, je pense, explique pourquoi la musique swing autant. Et on ne peut jamais, jamais, jamais se tromper avec Ella Fitzgerald! Le deuxième album est Jamal at The Pershing Vol. 2 (Live) d’Ahmad Jamal, paru en 1958. Le trio d’Ahmad Jamal avec Vernel Fournier et Israel Crosby est incroyablement soudé, ils jouent formidablement bien ensemble. Les arrangements de cet album sont toujours captivants et ingénieux, et grâce à la beauté du jeu de ce trio, l’auditeur – qu’il soit novice ou fan invétéré – sera toujours sur le qui-vive, attendant de savoir ce que chaque instrument joue ensuite. Bien qu’il s’agisse d’un disque de Jamal, l’interaction entre les membres du groupe produit un son de groupe si solide qu’il est et sera toujours facilement identifié à Jamal. » – Caity Gyorgy
Pour les auditeurs de jazz plus avertis, je recommande Obbligato by Tom Rainey. Il m’a totalement époustouflé la première fois que je l’ai entendu. Le groupe est prodigieusement compétent et créatif, et il repousse les limites des standards du jazz d’une manière que j’adore ». – Claire Devlin
« L’album que je recommande à tout amateur de jazz est Black Codes from the Underground, de Wynton Marsalis. C’est un quintet all-stars, avec Charnett Moffett, Jeff Tain Watts, Kenny Kirkland, Wynton et Branford Marsalis. Cet album est une réelle classe de maître sur l’interaction d’un groupe de jazz et comment un groupe avec une chimie peut sonner. » – Modibo Keita
« Aux amateurs, je recommande l’album Miles Smiles, de Miles Davis. Ce groupe, composé de Herbie Hancock, Wayne Shorter, Ron Carter et Tony Williams, est incroyable par son son, par ses compositions et par l’incroyable jeu de Miles Davis. Il est au sommet de son art. » – Adrian Vedady.
Pour en découvrir davantage sur l’histoire de la musique de jazz et le contexte dans lequel elle s’inscrit, ne manquez pas la première et deuxième partie de notre série, Faire place au jazz : les racines, et Faire place au jazz, 2e partie : Naviguer dans l’univers jazz.
Écrit par Christelle Saint-Julien
Illustration par Yihong Guo