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Écoutez, c’est dans l’air du temps. L’entendez-vous aussi? C’est le jazz! C’est la bande-son recommandée pour vos vidéos sur les médias sociaux, ou vous êtes peut-être tombé sur des musiciens qui deviennent viraux. Pas besoin de creuser, c’est aussi dans les oreilles du grand public. Cette année, les Grammy Awards ont décerné à Samara Joy le prix de la meilleure nouvelle artiste, et son album Linger Awhile a également remporté le prix du meilleur album de jazz vocal. En 2022, le musicien jazz Jon Batiste a obtenu pas moins de 11 nominations aux Grammy Awards, et a remporté l’album de l’année avec We Are, ainsi que quatre autres prix.

Comme l’a dit le grand trompettiste Wynton Marsalis, « le jazz célèbre la vie! La vie humaine, son amplitude, son absurdité, son ignorance, sa grandeur, son intelligence, sa sexualité, sa profondeur. Et elle y répond ». Voilà une invitation à découvrir le jazz, ou vous y plonger plus profondément, et voici par où commencer.

Respecter le jazz

Disons-le franchement, le jazz peut paraître intimidant. D’où vient cette réputation? Ce n’est pas si simple, il faut plonger dans les facteurs culturels et historiques pour le comprendre. De plus, pour apprécier le jazz à sa juste valeur, il est important d’en comprendre les fondements historiques. « Le jazz existe depuis 100 ans », nous rappelle la Montréalaise Valérie Lacombe, batteuse et passionnée de jazz, à propos de son histoire riche et complexe. 

Autre élément crucial que l’on oublie souvent de souligner : le jazz est une musique noire. Le racisme est la raison première de la résistance que rencontre cette musique. Le jazz est né dans les quartiers noirs américains de la Nouvelle-Orléans à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Les premiers concerts de jazz ont lieu dans le quartier de Storyville, à la Nouvelle-Orléans, où les travailleuses du sexe sont établies. Le jazz prend ensuite son essor dans les bars clandestins pendant la Prohibition (de 1920 à 1933), où il est présenté dans les night clubs liés au crime organisé. « Les premières images du jazz étaient liées au racisme, puis elles ont été renforcées par des associations avec la prostitution et le crime », explique Sam Kirmayer, guitariste et professeur d’histoire du jazz à l’Université Concordia. 

Duke Ellington (à droite, au piano) avec son groupe les Washingtonians, en 1925.

À mesure que le genre musical s’intègre et transcende les barrières raciales, un nouveau type de jazz émerge, le bebop. Le pionnier en est le saxophoniste révolutionnaire et emblématique Charlie Parker. Le musicien est également dépendant des opiacés à la suite d’un accident de voiture, et l’héroïne est omniprésente sur la scène, faisant resurgir l’association entre le jazz et la drogue. Parallèlement, le jazz est également adopté par la contre-culture blanche, telle que le mouvement beatnik. 

Les choses ne s’arrêtent pas là, mais sautons à quelques événements marquants. L’album Kind of Blue, de Miles Davis, paraît en 1959. C’est le disque de jazz le plus vendu de tous les temps, ce qui contribue à rendre le genre plus accessible et plus populaire auprès du grand public. Au début des années 80, Wynton Marsalis donne un nouvel engouement au jazz et contribue à la reconnaissance du genre. En 1983, il remporte un Grammy pour le jazz et la musique classique, du jamais vu.

Le jazz fait également son entrée dans les universités, où il est enseigné par des professeurs suivant un cursus similaire à celui de la musique classique, alors qu’il s’agissait auparavant d’une pratique de mentorat et de tradition orale. À mesure que l’establishment blanc valide la forme d’art, le jazz se cristallise en tant que discipline élitiste et sophistiquée. Ouf, quand même ! « Ce n’est pas comme si quelqu’un avait délibérément déclaré son intention d’orchestrer une campagne médiatique de masse pour discréditer cette musique, mais je pense aussi que ce n’est pas une coïncidence si l’une des contributions les plus importantes des cultures noires a été ainsi déconsidérée », affirme Sam Kirmayer. 

Pourtant, le jazz n’est pas réservé uniquement aux musiciens de jazz, ni aux personnes ayant reçu une formation musicale universitaire. Bien qu’il ait des sonorités et des éléments stylistiques spécifiques, au bout du compte, « ce ne sont que des notes et des accords », rappelle Valérie Lacombe. D’ailleurs, un grand nombre de musiciens, encore aujourd’hui, n’ont pas étudié le jazz à l’université. 

Une appréciation culturelle 

D’un point de vue musical, il se passe beaucoup de choses dans nos oreilles. « Une grande partie de la musique populaire est harmoniquement très différente du jazz. Souvent, le jazz est une musique instrumentale, ce qui n’est pas dans nos habitudes ; c’est aussi très différent de ce que nous avons l’habitude d’entendre à plusieurs niveaux », souligne Valérie Lacombe. En d’autres termes, il peut s’agir d’un simple manque d’accoutumance. « Si c’était la musique que l’on entendait dans la culture pop, personne n’en ferait de cas », fait-elle remarquer. Et plus de gens se passionneraient pour cette musique si elle était plus accessible. « C’est simplement parce qu’elle ne fait pas partie d’une culture, et il y a une raison à cela », avance la musicienne. 

Ces dernières années, la culture et la musique noires ont suscité un intérêt croissant. « Il me semble que depuis quelques années, les artistes noirs sont enfin plus mis en valeur qu’auparavant, soit depuis les années 2000. Grâce à ces artistes, la musique pop intègre davantage d’éléments de jazz », explique Valérie Lacombe. Peut-être que l’industrie commence à reconnaître que la musique doit évoluer en fonction des intérêts des gens. « Par conséquent, il y a moins de barrières à l’écoute de cette musique jazz », pense la batteuse. Si vous l’attendiez, voici votre invitation à vous joindre au party. 

Maintenant que votre intérêt est piqué (vous avez quand même lu jusqu’ici!), où se tourner pour écouter et apprécier cette musique? Les réponses dans la deuxième partie de notre série Faire place au jazz.

Texte écrit par Christelle Saint-Julien
Illustration par Yihong Guo