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Même après 20 ans d’expériences, chaque matin, Ghislain Brind’Amour entre au Planet Studio à Montréal avec un objectif clair : il veut continuer de toucher les gens avec sa musique. Innovant, l’ingénieur et réalisateur veut toujours que tout soit incroyable. Cette démarche est assurément ce qui lui a fait gagner plusieurs prix convoités, dont un JUNO pour l’album Rapadou Kreyol de Wesli et le prix de l’album anglophone de l’année avec Godspeed: Elevated de Naya Ali à l’ADISQ en 2022. Aujourd’hui, celui qui se surnomme Mixed By Gee, partage avec nous son parcours qui l’a amené à travailler dans un des plus gros studios à Montréal.

RAC : Pouvez-vous nous raconter votre parcours qui vous a amené au Planet Studio aujourd’hui? 

Mixed By Gee : Adolescent, j’ai commencé à créer des beats hip-hop. Avec un ami qui rappait, nous avons monté une chanson pour un projet scolaire et ça a eu du succès. Nous avons même vendu des CDs. Il avait d’autre matériel alors nous avons fait un album. Après 2000 CDs vendus, une tournée et une collaboration avec Radio-Canada pour un projet sur la toxicomanie, mon ami est allé à l’université. J’ai voulu continuer seul sur la scène mais j’ai compris que je voulais plutôt être en studio et créer. J’ai trouvé la formation au RAC à Montréal alors je suis parti d’Ottawa pour aller à Montréal. RAC m’a donné quelques boulots par-ci par-là puis le directeur de l’école à l’époque m’a appelé pour me dire que Planet Studio cherchait un assistant. J’ai commencé à travailler comme assistant, mais éventuellement il faut gagner de l’argent. Je suis donc allé sur des forums de musique pour annoncer que j’avais un studio disponible en soirée – c’était ma récompense comme assistant. Je passais alors tout mon temps au studio, je dormais là-bas. Ça m’a donné beaucoup d’expérience.

RAC : Qu’est ce qui vous a le plus marqué pendant vos trois années en tant qu’assistant dans la façon dont vos mentors travaillaient?

Mixed By Gee : Je ne voulais pas être assistant. Je me disais parfois que je pouvais faire un meilleur travail que l’ingénieur à la console. Mais la vérité vient assez vite quand tu commences: il y a une raison pour laquelle ce gars-là est là. J’ai appris que si tu crées une mauvaise vibe, tu ne pourras jamais travailler. Oui, il y a la technique, mais c’est aussi comment on fait sentir l’artiste pendant la session. Je n’aurais pas compris ça par moi-même. On passe des heures avec l’artiste en studio, il faut que ce soit agréable. Ils mettent leur âme à nu et sont vulnérables face à nous. Alors, notre rôle c’est de les aider à être à l’aise et performer. Les gars dans les gros studios sont plus que juste capables de travailler sur Pro Tools : ils sont là parce que les gens veulent qu’ils soient là. 

RAC : Avec quel.le.s artiste.s avez-vous aimé le plus travaillé?

Mixed By Gee : Je n’ai pas nécessairement une personne en particulier. C’est plus des moments durant lesquels j’ai grandi dans mon œuvre. Je me rappelle qu’à mes débuts, en 2005, j’ai travaillé auprès de Corneille pour une réédition d’un de ses premiers albums et pour la réalisation de l’album de l’artiste Gage. Les sessions étaient vraiment cool et même si Corneille a beaucoup d’expérience, il ne me remettait jamais en question. Il me faisait confiance alors j’ai fait en sorte d’être l’une des personnes qui a contribué au projet. Nous avons passé des heures en studio et il m’a laissé faire plein de choses. Je voulais sortir ce qui était dans ma tête et il m’a donné la possibilité de le faire. Corneille est devenu un mentor du côté réalisation. La façon dont il travaillait et faisait les choses étaient incroyables. Il pouvait entendre une prise, puis une autre avec une mélodie ou dans une section différente et pouvait imaginer les deux éléments ensembles, ou savoir où les placer pour que ça sonne bien. Il m’a ouvert l’esprit : il n’y a pas de mauvaises notes, c’est juste une question de les placer à la bonne place. 

RAC : Vous offrez un template Pro Tools sur votre site web, pouvez-vous nous en parler davantage?

Mixed By Gee : On me l’a demandé à plusieurs reprises et moi-même j’aurais aimé avoir une base avec les outils qui viennent avec Pro tools quand j’ai commencé. Alors, j’ai ré-imaginé la façon dont je travaille et j’ai fait un template avec seulement les outils disponibles dans Pro Tools. C’est un bel exercice. Puis les résultats sont bons puisque j’ai travaillé et remis des projets aux client.es avec ce template. En général je travaille toujours avec un layout et un routing semblable à ce que j’ai créé. Je suis en train d’en développer un pour Logic Pro et compte en faire pour pas mal tous les logiciels audios.

RAC : Comment est-ce possible aujourd’hui de réussir en tant que producteur.rice dans les grands studios?

Mixed By Gee : Il y a toujours des chances pour réussir, je vois souvent passer de nouveaux visages au studio. Mais la réalité économique n’est pas la même aujourd’hui : j’étais chanceux de pouvoir payer un loyer de 300 $, ce qui était plus facile à ramasser avec de petits boulots. Quand tu commences, il n’y a pas beaucoup d’argent, c’est un défi. C’est plus facile si tu es encore chez tes parents, comme un de mes assistants. Ça lui permet d’avoir l’attitude qu’il faut, premier arrivé dernier sorti. Il ne faut pas juste penser à l’argent, c’est plutôt une vision à long terme puisque cette façon de faire te permet d’évoluer et de créer les opportunités qui te permettront d’être mieux récompensé.e par la suite.

C’est ce qui a changé ma carrière. Je faisais de tout au début, du live ou session pop, jazz, gospel et rap. J’étais bon dans rien, mais correct dans plusieurs choses. Je voulais mixer, mais il fallait que les gens me fassent confiance. J’ai misé sur mes forces et, pendant les sessions, je me suis concentré à travailler les voix, les mélodies, les back vocals et harmonies. Au lieu d’envoyer le mixe brute, je restais en studio plusieurs heures de plus pour faire le meilleur mix possible. Les artistes étaient content.e.s du déroulement de la session et du résultat puis ils envoyaient le tout à un ingénieur pour mixer. Mais ça sonnait moins bien que mon « mix brute », alors, ils me demandaient de terminer le projet avec eux. C’est important qu’un.e client.e ne parte pas de mon studio avec quelque chose qui ne sonne pas bien. 

RAC : Étudiant de la cohorte de 2002 au RAC, qu’est ce que vous en retenez aujourd’hui et qu’est ce que vous utilisez encore?

Mixed By Gee : Les cours d’acoustique me servent encore beaucoup quand je bâtis des studios (lire notre article sur la Construction de studio 101 : Acoustique). Je regarde encore mes notes pour ça. Je me rappelle avoir figé pendant un des premiers examens pratiques. Le professeur m’a dit « relax, tu connais tout ça » et m’a appris à ne pas être trop dans ma tête. Il avait raison: il faut suivre ses instincts en musique. Il faut le dire, ce que je détestais le plus est la chose qui m’a servi le plus. Le RAC est un bon départ, mais je pense que tout commence après, quand il faut mettre en pratique.

RAC : Qu’est ce que vous conseilleriez de faire à un.e étudiant.e qui termine ses études?

Mixed By Gee : Cela dépend mais si c’est pour avoir un parcours comme le mien : avec un portable, tu peux tout faire. Pour moi, approcher les gros studios m’a servi, mais ce n’est pas nécessairement pour tout le monde puisque c’est exigeant en termes de temps. Tu peux aussi trouver un.e artiste dans lequel tu crois et bâtir quelque chose ensemble. Si tu réalises du bon travail, tu te feras engager. Comme travailleur.euse autonome ça fonctionne bien aussi – les jeux vidéo et la postproduction sont en demande. Financièrement la vie sera plus facile dans ces domaines là. C’est un choix.

–Dernières notes–

Mixed By Gee a récemment commencé  à être plus présent sur les réseaux sociaux. Son objectif : élever les standards de l’industrie à Montréal. Les vidéos sur les techniques d’EQ sur une grosse caisse ne sont pas pour lui, il cherche plutôt à ouvrir la fenêtre sur l’expérience de studio, si précieuse à ses yeux. Il voit la scène montréalaise au même niveau que n’importe quelle autre grande ville renommée de l’industrie. Tout en cherchant à léguer cette vision à la relève, il travaille actuellement sur un projet country avec Michaela et sur un prochain EP pour Ya Cetidon. Le sympathique producteur continue d’espérer que d’autres prendront leur place derrière la console en oubliant jamais leur rôle dans la chaîne de création musicale. Ultimement, « It’s all about the music »!

Texte écrit par Caroline Boivin
Illustration par Yihong Guo