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En musique, il y a des éléments qui sont indéniablement décodés par le cerveau, et ce, de façon universelle. Nous pouvons discerner le rythme, le tempo, la mélodie, le timbre, le volume et la tonalité, ce qui en font des aspects fondamentaux de la perception musicale humaine. Il y a plusieurs zones du cerveau qui travaillent pour interpréter ses éléments sonores perçus, mais un des premiers traitements effectué par le cerveau est le regroupement de ces derniers. Ce qui est perceptuellement semblable, selon différents principes, est organisé afin d’en soutirer une cohérence. Mais cette recherche de cohérence surpasse le fait que parfois, il n’y en a pas. 

Cette série sur la musique et le cerveau vise à explorer les perceptions et interprétations cognitives musicales via les multitudes de connexions neuronales et zones impliquées dans le traitement du son. Pour cette première partie, découvrons comment, en tentant de faire du sens de ce qu’il entend, le cerveau joue avec nos sens.

Les illusions auditives

1. Le concept de la fondamentale manquante

Quand nous entendons un son, nous entendons en fait sa tonalité de base (fondamentale) et plusieurs autres notes (fréquences) en même temps. Ce sont les harmoniques de ce signal sonore. Si tu te rappelles du bip que faisait ton téléphone sur la ligne de la maison (La 435 Hz), ce son n’existait pas en réalité. Le cerveau est si bien calqué sur les harmoniques, que, si on lui donne un signal sonore, il reconnaît rapidement toutes les harmoniques lui permettant de déduire l’information de la note fondamentale. C’est pratique puisque la plupart des téléphones sur ligne terrestre ont une plage de fréquences limitée (300 Hz-3400 Hz). Le cerveau peut donc nous faire percevoir la fréquence fondamentale de la voix masculine – qui est d’environ 150 Hz – sans que cette fréquence soit réellement présente dans le combiné.

Cet effet peut être utile pour plein d’équipement sonores afin qu’ils produisent des notes plus graves que ce qu’ils sont en réalité capable de produire. Ce phénomène est présent lorsqu’on entend les notes les plus graves d’un piano ou d’une double basse : nous n’entendons pas réellement 27,5 Hz ou 35 Hz puisque ces instruments ne produisent pas assez d’énergie à ces fréquences. Notre cerveau comble les informations pour nous donner l’illusion que la tonalité est aussi grave.

Hidehiko Komatsu -The neural mechanisms of perceptual filling-in

2. La complétion perceptive

Dans l’image ci-dessus, les carrés n’existent pas concrètement. C’est grâce au mécanisme cognitif de la complétion perceptive que nous pouvons juger une figure comme étant complète alors qu’une partie de celle-ci est cachée ou se trouve dans l’angle mort du champ visuel. Ce biais visuel fonctionne aussi de la même façon avec l’ouïe, créant des éléments musicaux qui n’existent pas vraiment. En écoutant « Rustle of Springs » de  Christian Sinding  ou le début de la « Fantaisie Impromptu », (Op. 66) de Chopin, les notes vont tellement vite qu’une mélodie semble en émerger. Si on ralentit le tempo, cette mélodie s’efface. 

3.  Le principe de la continuation

Le système auditif applique des principes gestaltistes de similarité et de proximité pour connecter ensembles les sons semblables, de façon à organiser et interpréter les stimuli sonores de manière cohérente et significative. Dans l’intro de « One of These Nights » de The Eagles, nous entendons la basse et la guitare comme étant un instrument à part entière. Pourtant, la basse joue une note et la guitare fait un glissando.

On retrouve ce même genre d’effet dans la chanson « Lady Madonna » de The Beatles. Dans une section instrumentale, les membres chantent dans le micro en couvrant leurs bouches avec leurs mains et ce qu’on entend ressemble au timbre d’un saxophone. Les notes jouées, ainsi que l’expérience et l’expectative que cet instrument est typique dans ce genre de musique, font déduire à notre cerveau que c’est bel et bien un saxophone. Par contre, plus loin dans la chanson, on entend un vrai solo de saxophone et l’illusion disparaît. 

Les tables de Shepard

4. La gamme de Shepard

Du côté visuel, les tables de Shepard nous démontrent bien comment les règles de notre cerveau modifient notre perception. Les tables de Shepard sont en fait une paire de parallélogrammes identiques représentant le dessus de deux tables, mais l’illusion fait que les tables semblent complètement différentes car les règles des objets tridimensionnels prennent le dessus. La gamme de Shepard, en musique, est basée sur cette perception d’un mouvement ou d’un changement qui défie la réalité physique. 

Ces tromperies du cerveau ont été mis à jour par Roger Shepard, scientifique américain spécialisé dans la psychologie cognitive. La gamme permet de composer des mélodies qui ne finissent jamais: le ton Shepard. On perçoit une mélodie ascendante ou descendante infinie, bien que les tons ne changent pas réellement de hauteur. L’escalier de Penrose le représente bien visuellement. L’application de cette technique apporte un suspense, une tension et peut servir à donner l’impression d’une accélération dans les trames sonores. Hans Zimmer utilise souvent cette technique dans ses compositions. L’effet peut aussi être utilisé à l’inverse. Nous avons alors l’impression que le son descend sans cesse, et on ressent plutôt un relâchement qu’une tension. 

L’escalier de Penrose

5. Illusion de l’octave

L’illusion de l’octave est une illusion auditive fascinante qui défie notre perception habituelle de la hauteur des sons. Dans cette illusion, une paire de tons séparés par un intervalle d’une octave est présentée. Nous devrions alors entendre de nos deux oreilles une note plus basse et une autre plus haute. Par contre, les auditeurs peuvent percevoir ses sons de manières différentes : parfois ils sont perçus à la même hauteur, parfois les tonalités sont perçues comme étant à des hauteurs différentes. 

Cela est dû à la sélection d’informations du cerveau ainsi qu’à la latéralisation de notre corps. Comme il y a davantage de gens droitiers, il y a davantage de gens qui utilisent leur oreille droite pour entendre. Les sons plus aigus sont perçus par l’oreille droite, et les graves, par l’oreille gauche. C’est l’inverse pour les gauchers. Le cerveau, se fiant davantage aux sons aigus pour percevoir l’origine du son avec précision, interprète que le son aigu provient d’un côté et le son plus grave, de l’autre. Nous entendons donc un son qui vient une fois d’un côté, et l’autre fois, de l’autre.

Il est fascinant de constater que même après avoir pris conscience des illusions auditives, la plupart d’entres continuent d’être perçues ainsi. Le prochain article de la série explorera plus en profondeur d’autres aspects du traitement cognitifs de la musique. 

Écrit par Caroline Boivin

Illustration par Holly Li