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Élevé dans une famille d’immigrants avec une mère chanteuse et un père ex-rockeur, le producteur Kevin Figs a rapidement développé ce qui deviendrait les deux piliers centraux de sa vie : un amour profond pour la musique et une incroyable éthique de travail. De sa découverte de la batterie à l’âge de trois ans à la signature d’un contrat d’enregistrement avec son groupe à seize ans, jusqu’au travail à Los Angeles comme jeune producteur, Kevin a connu les hauts et les bas qui viennent souvent avec une carrière dans l’industrie musicale. 

Il est maintenant un producteur indépendant basé à Montréal, avec deux nominations aux Junos, plusieurs disques d’or et de platine certifiés par la RIAA, et des collaborations avec DaniLeigh, Jeremih, Ty Dolla $ign, bülow, et bien d’autres. 

Il s’est entretenu avec RAC pour discuter des opportunités et des leçons qui l’ont guidé sur son chemin et l’ont mené là où il est aujourd’hui.

RAC : Vous avez grandi dans une famille musicale. Pouvez-vous nous raconter comment c’était? 

Kevin : Mon père a longtemps été un artiste en tournée. Il jouait de la basse, du piano, de la guitare – de tout. Il s’est finalement posé avec sa famille et s’est impliqué dans l’église, et c’est là que j’ai d’abord découvert la batterie. Après ça, je frappais sur tout ce qui me tombait sous la main, jusqu’à ce que mes parents m’achètent une batterie pour éviter d’autres dégâts. À l’âge de sept ans, j’ai pris des cours de batterie pendant environ six mois et j’ai appris le reste à l’oreille. Je jouais toute la journée, tous les jours ; je jouais à l’église chaque dimanche pendant la plupart de ma vie. 

RAC : En tant qu’ado, vous avez fait partie d’un groupe avec votre grand frère et vous avez décroché un contrat d’enregistrement. Quelle a été cette expérience?

Kevin : Le band s’est formé quand j’avais quatorze ou quinze ans. J’étais le plus jeune du groupe. Je jouais de la batterie et mon frère aîné était le chanteur et l’auteur-compositeur. Nous avons rencontré le bassiste à l’église, et son cousin était notre guitariste. À l’époque, mon frère était inscrit à RAC et a utilisé ce qu’il apprenait dans le programme pour enregistrer l’album du groupe. Il a aussi en quelque sorte pris le rôle de manager. Pendant ce temps, je créais beaucoup de contenu sur YouTube, et j’apprenais aussi à faire des rythmes. J’enregistrais les instrumentaux de chansons célèbres et je me filmais en train de jouer de la batterie en live. J’ai beaucoup appris en autodidacte. 

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Nous avons obtenu un contrat d’enregistrement qui a duré quelques années, durant lesquelles nous avons connu un succès « indie » modeste et fait des tournées sur la côte est des États-Unis. J’ai beaucoup appris de cette expérience. Mais mes coéquipiers étaient plus âgés et, à l’université, la réalité s’est imposée. Ils ont dû prendre de grandes décisions dans leur vie et, finalement, le groupe s’est séparé.

RAC : Qu’avez-vous fait ensuite? Qu’est-ce qui vous a amené à produire?

Kevin : Comme je créais des beats depuis que j’étais jeune, j’ai décidé de poursuivre des études en dehors de la musique. Ma deuxième passion était le cinéma et la vidéo – je voulais tourner des clips musicaux et des vidéos de skateboard. Mais pendant mes études de cinéma, je suis devenu obsédé par la production musicale – les plugins, les synthétiseurs, etc. J’y consacrais tout mon temps. J’étais vraiment déterminé à m’améliorer. Je séchais les cours pour aller dans la salle de piano ou pour faire des beats. Il était clair que je ne voulais pas aller à l’école, je voulais faire de la musique. 

Après la dissolution du groupe, j’ai commencé à contacter des artistes pour jouer de la batterie en direct. J’ai fini par leur envoyer des rythmes. Si j’entendais parler de quelqu’un, je lui envoyais mon matériel, même juste sur Facebook. C’est alors que les choses ont commencé à évoluer.

RAC : Quel a été le moment décisif qui vous a amené à signer un contrat d’édition et à déménager à L.A.? 

Kevin : J’ai contacté un artiste local que j’avais entendu à la radio et il m’a invité dans son studio. C’est là que j’ai rencontré un autre producteur – qui est devenu mon meilleur ami – Retro Future. On s’est joué des beats et on s’est tout de suite bien entendu. Le même jour, on a fait un beat ensemble, qui est tombé entre les mains d’un manager de Toronto qui était en train de créer une maison d’édition (Dream Machine). C’est comme ça qu’on a été signés.

Peu de temps après, j’ai terminé mes études et je suis allé à Los Angeles pour voir le propriétaire de la maison d’édition. Je suis resté quelques mois, suis revenu chercher mes affaires puis reparti pour un autre six mois. La compagnie nous a alors aidés à obtenir un visa de travail, et nous avons pu rester pendant près de cinq ans. 

C’était un travail de rêve. On créait des rythmes toute la journée, tous les jours, sept jours sur sept. Notre éditeur nous mettait en contact avec des artistes pour des séances en studio. Ils travaillaient avec Prescription Songs, une autre maison d’édition appartenant à Dr. Luke (sous RCA Records), qui avait un grand nombre d’auteurs, de producteurs et d’artistes. On a pu travailler avec des artistes comme Doja Cat et Zara Larsson avant qu’ils n’explosent. Ce contrat nous a ouvert de nombreuses portes et nous a permis de rencontrer toutes sortes de gens de l’industrie.

RAC : Vous avez dû beaucoup apprendre. Quels sont les meilleurs conseils que vous avez reçus pendant cette période? 

Kevin : On a eu la chance de travailler avec le producteur de Dr. Luke à l’époque, Cirkut, qui avait travaillé avec The Weeknd, Flo Rida, Katy Perry. On l’a suivi et on a reçu beaucoup de conseils et d’astuces techniques. L’un d’entre eux était d’apprendre la compression : pourquoi elle fait ce qu’elle fait. Cirkut était également très expérimental et m’a appris à ne pas trop protéger mes sons et à ne pas avoir peur de les détruire et de les transformer complètement. À l’époque, j’étais vraiment à la recherche de la perfection et j’avais peur d’aller au-delà de ce qui était « sûr ». Il m’a montré qu’il n’y a pas de bonne façon de faire les choses – apprenez les règles pour les briser. Il faut connaître les aspects techniques, mais ne pas s’y limiter. Mon manager de l’époque était lui aussi un grand promoteur de ce principe. 

RAC : Avez-vous déjà ressenti le syndrome de l’imposteur en travaillant avec de si grands noms si tôt dans votre carrière?

Kevin : Oui, beaucoup, et c’est pour ça que je travaillais si fort. Je ne sortais pas, je vivais et respirais la production. J’étudiais les enregistrements. Je faisais tout ce que je pouvais pour m’améliorer. Je devais saisir toutes les opportunités qui m’étaient offertes. Notre emploi du temps était fou et on travaillait à un rythme effréné. On se sentait toujours comme des underdogs – des personnes de second rang lors des événements auxquels on était invités.

Je savais que j’étais là pour une raison, mais j’avais toujours l’impression que tout ce que je faisais n’était pas suffisant. Quand on grandit avec des parents immigrés portugais, on est poussé à travailler dur, parce que ça signifie beaucoup d’avoir une telle opportunité.

RAC : Vous avez beaucoup travaillé avec Jeremih, et avez même décroché des disques d’or et de platine. Comment cela s’est-il passé? 

Kevin : Quand nous étions à L.A., nous avons rencontré Jeremih lors d’une rencontre par l’intermédiaire de notre manager. Quelques années plus tard, nous avons déménagé et réalisé qu’il était notre voisin. Nous nous croisions souvent et c’est à ce moment-là que Retro s’est dit qu’il fallait qu’on travaille ensemble. On l’a invité chez nous et écrit deux chansons qui se sont retrouvées sur son prochain album. Notre relation est toujours aussi forte.

RAC : Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter L.A. et à poursuivre une carrière de producteur indépendant ?

Kevin : Nous avons signé notre contrat quand nous étions jeunes, naïfs et enthousiastes  – sans en comprendre toutes les implications jusqu’à plus tard. Il s’agissait essentiellement d’un contrat à durée indéterminée. Avec le temps, nous avons commencé à comprendre pourquoi certaines choses ne se produisaient pas malgré la quantité de travail que nous avions investie. Nous avons fini par engager un avocat et les choses se sont terminées à l’amiable. 

Cette leçon a été coûteuse, car nous manquions, à l’époque, de connaissances professionnelles. Il est important de trouver un bon avocat, qui est de votre côté, avant de signer. 

De plus, en tant que producteur, il faut parfois beaucoup de temps avant de toucher de l’argent sur les disques que l’on produit ; il s’agit principalement de redevances rétroactives. Il faut toujours penser quelques années à l’avance. Je savais que je voulais être indépendant, et il était financièrement logique de revenir au Canada.

RAC : Comment ça se passe depuis que vous êtes devenu indépendant? 

Kevin : C’est sûr que c’est plus dur d’être indépendant. Mais j’ai beaucoup plus de contacts qu’à mes débuts – le réseau est essentiel dans cette industrie. Je travaille avec des gens localement, mais je collabore aussi à distance avec des gens à Toronto et à L.A. ; je travaille toujours beaucoup avec Retro. Beaucoup des relations que j’ai nouées sont encore solides. Je fais aussi de la production vidéo, qui reste un important outil créatif pour moi. 

RAC : Vous avez essentiellement construit votre propre studio à Montréal. Quel équipement recommanderiez-vous à ceux qui débutent?

Kevin : La première chose que je conseillerais, ce serait de bons haut-parleurs. J’ai probablement enregistré environ 75 % des albums de ma carrière sur des Yamaha HS5. Elles sont connues pour être des enceintes de merde, des enceintes de référence – si ça sonne bien dessus, ça sonnera bien n’importe où. Il faut apprendre à connaître ses haut-parleurs et à s’y consacrer ; il faut bien les connaître.

Pour les écouteurs, j’utilise les Audio-Technica ATH-M50X. C’est un excellent casque, très confortable. Je les ai depuis dix ans et ils fonctionnent toujours. 

Une bonne carte son et un bon micro aussi. Parfois, j’enregistre des choses sur mon téléphone – des effets sonores cool comme la pluie, des oiseaux en arrière-plan. Personne ne peut les reproduire ; ça permet de personnaliser l’enregistrement.

RAC : Avez-vous des conseils sur comment travailler avec les artistes en studio? 

Kevin : En tant que producteurs, on a appris à venir préparés. On arrivait toujours avec des idées prêtes à utiliser. Et si l’artiste n’aimait pas ces idées, on était prêts à créer quelque chose à partir de zéro, même juste des loops comme base.

On veut que les artistes n’aient pas à faire d’efforts – il ne faut pas leur demander d’attendre que vous programmiez la boucle de batterie parfaite. Certain.e.s artistes aiment participer au processus, mais les artistes de haut niveau ne sont généralement pas là pour longtemps. Vous devez avoir des idées prêtes, mais aussi être flexible – les choses ne se passent pas toujours comme prévu. Si vous faites en sorte que la personne se sente bien, vous repartirez sûrement avec quelque chose de solide. Parfois, discuter pendant un certain temps aide aussi le processus d’écriture, car vous pouvez vous connecter à un niveau plus personnel.

Texte par Andria Piperni
Traduction par Maryse Bernard
Illustration par Yihong Guo