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Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit en entendant le mot disco? Il y a évidemment les looks qui en mettent plein la vue – les coiffures bouffantes! Les paillettes! Le velours! Puis, il y a ce rythme constant, les lignes de basse dansantes, les arrangements orchestraux, les synthétiseurs, les cuivres. Et même si l’âge d’or du disco a pris fin à la fin des années 70, l’effet contagieux des hits de l’époque, de I Will Survive de Gloria Gaynor à September d’Earth Wind and Fire, reste inégalé, même près de 50 ans après leur sortie. Pourquoi? 

Bien se sentir, bien paraître, bien sonner

Il s’avère que le disco est tout simplement de la très bonne musique. « C’est pourquoi on continue de l’échantillonner aujourd’hui. Ce n’est pas une musique superficielle, elle a une dimension, elle est réfléchie », souligne la musicienne Tanja Nachtigall. De fait, les chansons disco font d’excellentes reprises, se prêtant sans problème à différents styles et à des interprétations contemporaines. « Lorsqu’on ajoute le coefficient disco à n’importe quel genre de musique, ça fesse. Prenez n’importe quelle chanson disco et réduisez-la à sa plus simple expression, ça garde son effet », croit la chanteuse, membre du groupe disco Grüv

Tanja a grandi à Winnipeg au sein d’une famille de musiciens. L’appel du dico n’a pas tardé à se faire entendre : son grand-père et son grand-oncle étaient à fond dans cette culture. « Ils portaient des bottes à semelles compensées, des complets mauves, de petites moustaches fines et élégantes », se remémore-t-elle de ses aînés, venus à Winnipeg depuis Londres et originaires de la Jamaïque

Enfant, Tanja mettait ses petits pieds dans leurs bottes à semelle compensée de taille 12, sans savoir que quelques décennies plus tard, elle prendrait la relève à titre de chanteuse. En 2010, elle s’installe à Montréal pour étudier le jazz, et continue sur sa lancée depuis. Un jour, pensant qu’elle serait parfaite au poste, un membre de la chorale Gospel de Montréal lui a posé la grande question, laquelle serait-elle intéressée à se joindre à un groupe de musique disco? « Je suis faite pour ça. C’est ma vocation », affirme l’artiste qui a rejoint Grüv en 2016. 

Tanja est l’une des trois interprètes de ce groupe composé de 10 musiciens. Formé à l’origine par des amis qui cherchaient à mettre sur pied un projet amusant, le groupe s’est depuis transformé en une véritable bête de scène. Rapidement, une première performance en mène à plusieurs autres. « Sans surprise, les gens raffolent du disco », remarque la chanteuse. Avec un répertoire datant de 1972 à 1979, Grüv est prêt à prendre d’assaut n’importe quel événement – notamment pour le Cirque du Soleil, qui a retenu leurs services pour une fête d’entreprise. « Chaque fois que les gens cherchent de la légèreté, de l’éclat, du plaisir et de la gaieté, on est là. Et c’est ce qui fait le charme du disco : pas moyen de rester assis sur sa chaise ». 

C’est que l’énergie est telle qu’elle nous fait bouger. Grüv nous fait danser et chanter toute la nuit au nom du disco. Pour bien sonner, le groupe répète beaucoup, malgré leur répertoire qui reste constant – et leurs répétitions virent à la fête tout autant que leurs concerts. « Il faut être en symbiose avec chaque musicien, et être pleinement présent. Toute chose qui détourne l’attention de l’instant présent a un effet négatif sur la qualité de la musique. Le disco, ça se résume ainsi : je te regarde, tu me regardes. Ensemble, on passe le meilleur des moments. 

C’est d’autant plus impressionnant de voir et d’entendre ce travail sur scène, où les dix membres et leurs instruments prennent place. « Dans un monde parfait, nous aurions notre propre ingénieur.e du son pour chaque concert. Il faudrait quelqu’un qui comprenne notre profil sonore, plutôt que de devoir improviser à chaque performance. C’est un long processus », confie la musicienne.

Le disco : une affaire sérieuse 

« Le disco est un art à part entière, et l’un des plus grands aboutissements de la musique moderne », atteste la chanteuse. Le genre musical a été le carrefour du spectacle et de la performance artistique, profondément ancré dans l’innovation musicale. « Par innovation, on entend le fait de puiser du passé ce qui fonctionne bien, et d’essayer de nouvelles choses qui sont étonnantes. Le disco traverse des frontières », dit la chanteuse. Et cette force unique est perceptible dans la musique et dans l’ambiance qui s’en dégage. « Le disco ne connaît aucune limite. L’auditeur et aussi un acteur de ce jeu, on danse en chantant. Les DJ se mêlent à des musicien.ne.s acoustiques, il y a des orchestres entiers qui jouent du disco, on trouve des DJ en solo, des five tops, des four tops, des three tops et des duos ».

Le travail des artistes sur scène consiste à maintenir le rythme. Cette tâche est d’une importance capitale, car s’ils n’y parviennent pas, par exemple si un.e musicien.ne décide d’y aller d’un solo trop long, la piste de danse se vide. « Il s’agit d’un échange dans lequel les artistes sont redevables au public, et le public est redevable aux artistes. Et quand tous sont à la hauteur, c’est enivrant ». 

Dans le disco, tout le monde est bienvenu.e et y trouve sa place, indépendamment des enjeux raciaux, de genre ou de classe. Voici comment Tanja l’explique : « le disco n’est pas une affaire de snobs! On est là pour nous amuser, pour écouter ce qui sonne bien et ce qui nous fait bouger notre corps. Ce qui compte, c’est que les gens veulent ressentir les mêmes choses, et non pas se ressembler ». D’ailleurs, le spectacle devient une célébration de soi, tant pour les artistes que pour le public. Sur scène, les musiciens de Grüv s’habillent en conséquence, mais laissent aussi libre cours à leur expression – c’est là l’esprit de cette musique, de se présenter tel que l’on est, et d’être libre. « Offrez le meilleur de vous-même, célébrez-le et célébrez les autres. C’est ainsi que l’on crée une telle ambiance conviviale. On a si rarement l’occasion de le faire dans notre société. »

Dans cet esprit, le disco est la musique du peuple. Dans la vraie vie, les membres de Grüv sont des gens bien ordinaires – des ingénieurs, des pères de famille, des professeurs de yoga. Il en va de même pour leur public, qui vient pour se laisser aller. « Qui a quitté un spectacle disco en se sentant pire qu’avant? » demande Tanja.

Elle dénonce la fausse croyance selon laquelle le disco fait abstraction de la dureté de la réalité. ll faut se rappeler que le disco a vu le jour durant les émeutes raciales qui ont secoué les États-Unis : « Le disco a l’audace d’être lumineux, joyeux, interracial et non genré. Ce qui nous mène à aujourd’hui : je pense que le disco était en avance sur son temps, avec comme message de s’élever au-dessus les difficultés quotidiennes de sorte de mieux pouvoir faire face à la vie ». 

Un endroit unique 

Le Studio 54 est célèbre pour avoir été le quartier général du disco. Mais saviez-vous que Lime Light, la légendaire discothèque montréalaise existait bien avant ? Depuis son ouverture en 1973 jusqu’à sa fermeture en 1980, Lime Light est demeuré le plus grand club disco du Canada, établissant la norme en matière d’ambiance, de son et de mixage. Montréal n’était rien de moins que la deuxième plaque tournante du disco au monde. Cela s’est même reflété dans les films : l’histoire de Funkytown est basée sur celle de Lime Light, rebaptisé à l’écran pour l’occasion. « Grace Jones y faisait la fête, James Brown donnait deux concerts par soir, cinq soirs de suite. Il n’y avait pas que des légendes locales qui venaient, il y avait aussi des gens de l’extérieur qui venaient faire la fête ». Parmi les légendes locales, citons Martin Stevens, connu pour sa chanson très populaire Love is in the air, Robert Ouimet, parrain du disco et DJ principal au Lime Light, ainsi que les vedettes du disco Denis LePage et sa femme Denyse. 

Bien que la scène disco soit toujours vivante et florissante, il faut maintenant chercher un peu pour la trouver dans la ville. Des événements se tiennent régulièrement, et certaines légendes sont toujours actives. « Alma Faye Brooks est toujours là, tête d’affiche à chanter et performer », souligne Tanja. Jusqu’à son décès en 2022, Geraldine Hunt, connue pour son titre à succès Can’t Fake the Feeling, se produisait encore. « C’est comme si on avait oublié, alors que le monde, lui, se souvient », croit la chanteuse. 

« Il est tragique qu’il n’y ait pas de pôle comme Lime Light au sein de la scène dansante montréalaise », déplore la musicienne. « La musique dance est de plus en plus minimaliste, ce qui est bien. Mais il y a un moment et un endroit où il faudrait pouvoir danser au son d’un orchestre qui joue des hits ». 

Comme l’indique Tanja à titre de conclusion, les racines disco de la ville manifestent aujourd’hui par des figures de proue du R&B et du jazz, comme Kim Richardson ou Michelle Sweeney. Des artistes comme Ranee Lee, Malika Tirolien et Dawn Tyler Watson font également vivre la scène disco montréalaise aujourd’hui. Il est grand temps de rendre au disco l’hommage qu’il mérite et de miser sur cette musique accrocheuse qui rassemble.

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Écrit par Christelle Saint-Julien

Illustration par Holly Li