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Détrompez-vous, BLK PRL est loin d’être une nouvelle venue dans vos oreilles. « Ça fait plus de 35 ans que je fais ce métier, et j’ai l’impression d’avoir vécu plusieurs vies en tant que Sandy Duperval », nous dit d’emblée l’artiste. 

Chanteuse et DJ, Sandy Duperval commence très jeune à chanter à l’église, avant de poursuivre ses études en musique jazz. En 2004, c’est l’émission Star Académie qui l’a révélée au grand public, alors qu’elle n’avait que 20 ans. Au cours des décennies suivantes, l’artiste s’impose derrière les platines comme le micro, pour arriver aujourd’hui à un nouveau départ. « Le making-of de BLK PRL, c’est Sandy Duperval », déclare la productrice, rejointe dans son studio montréalais. Derrière ce nouveau nom, on retrouve maintenant une artiste accomplie qui fait ce dont elle a envie, et rien pour l’en empêcher. « Ça faisait longtemps que je voulais faire de la musique house, avec un côté soulful, mais vraiment dancefloor. Je voulais retourner à l’élément déclencheur qui a fait que suis devenue DJ. À travers BLK PRL, je me permets d’être 100% ce que je suis devenue », nous annonce la productrice.

Une DJ à la voix 

Pour Sandy Duperval, devenir DJ n’était pas du tout dans les plans. Alors élève à l’école secondaire, c’est le breakdance qui a la cote. « À nos pratiques, mon ami amenait ses tables tournantes et ses vinyles. Je lui ai demandé d’essayer, et ça a cliqué », se souvient-elle. Plus tard, alors qu’elle étudie en musique au cégep, sa mère la met en contact avec le propriétaire d’un club, qui lui offre de s’essayer aux platines. « Il a dit “je n’ai pas un gros budget, mais tu peux venir jouer avec tes vinyles après l’école, te pratiquer, et tu vas ouvrir mes soirées”. J’ai adoré ça », se souvient-elle. Elle développe une oreille, un son, un style, sans considérer le métier. Lors de son passage à Star Académie, l’émission révèle son talent pour la chose. Le téléphone se met à sonner. « J’ai l’impression d’avoir été jetée dans la gueule du lion parce que je n’avais pas assez d’expérience pour faire de longues performances, mais j’avais un bon choix musical », dit-elle en riant. 

L’expérience s’est par la suite bâtie sur le terrain. Il y a cinq ans, Sandy rencontre une fan qui lui fait remarquer à quel point elle s’est améliorée. « Je l’ai remerciée pour sa franchise. À partir de ce moment, j’ai su qu’être DJ allait faire partie de ma vie à une échelle plus importante que je croyais », exprime-t-elle. Alors DJ depuis près d’une décennie, Sandy avait cessé de chanter. « Ma relation avec la chanson était marquée par l’amertume. Être DJ m’a protégée, et gardée connectée à la musique », confie-t-elle. En mixant à un événement de la F1, Sandy se met spontanément à chanter sur une chanson de Bob Sinclar. « Les gens se sont arrêtés et se sont mis à chanter avec moi. J’ai vu qu’il y avait quelque chose qui attirait l’attention », se souvient la productrice. 

Elle a depuis retrouvé la voix, et trouvé sa voie. « Quand l’artiste partage son art, il partage aussi sa vulnérabilité. Ce n’est pas tout beau, on fait de l’art avec nos souffrances. J’avais le mal de chanter. Par amour pour la chanson, il fallait que j’arrête », se livre-t-elle. La déception prend place face à une industrie féroce .« On évolue dans une industrie qui est menée comme une corporation. Ça met des bâtons dans les roues de l’artiste, qui a besoin d’être libre. L’industrie n’apprécie pas beaucoup ce genre de liberté », croit-elle. 

Sandy a depuis pu lâcher prise et faire table rase. Elle ne voit pas cette pause comme une mauvaise chose. « Des fois, il faut laisser la vie nous bercer pour voir des choses qu’on n’aurait pas découvertes autrement. Des accidents de parcours ont défini ma vie, et je n’y changerais rien ». 

Faire comme chez soi 

La musique house est un style qui émerge du disco. « A priori, les DJs loupaient des vinyles de disco. C’était très musical », nous explique Sandy. Dur à croire que l’artiste est tombée sur cette musique par hasard. Alors qu’elle ne sait pas à l’époque qui c’est, un ami l’invite à voir David Morales, qui se produisait au Stereo à Montréal. La jeune chanteuse est alors charmée par l’ambiance qui règne dans le club mythique. Le déclic se fait en entendant la chanson Most Precious Love, de Barbara Tucker. « C’est une chorale, on a l’impression de vivre une expérience spirituelle. Ça m’était familier », explique l’artiste, qui a longtemps chanté à l’église. 

L’autre chose qui l’interpelle c’est l’aspect social. « En arrivant au Stereo, il y avait toute sorte de personnes. Tout le monde était souriant, sobre ou non. Tout le monde était bienvenu, tel qu’il est », décrit-elle. Malgré les réalités divergentes de chacun, l’unité règne sur le dancefloor. « C’était ça la musique house pour moi, c’était un refuge », affirme l’artiste queer, qui sans avoir fait de coming out, à l’époque ne sent pas le besoin d’être quelqu’un d’autre. Cette mixité, cette liberté l’envoûte. Sandy sait maintenant ce qu’elle veut faire. «  La musique house, c’est vraiment pour tout le monde. À partir du moment où j’avais trouvé le style musical qui rassemblait, j’ai su que ça allait être porteur de mon message », dit Sandy. 

La house est une musique très versatile, allant du afrohouse au deep house, en passant par l’underground et un grand nombre de sous-genres. C’est également un genre qui a influencé de nombreux autres styles musicaux, en particulier ceux qui émergent de la culture noire. « La musique house vient de Chicago, Detroit et New York. C’était des Noirs et des Latinos, qui ont emené le style sur la scène des clubs », précise la chanteuse. Avec le temps, la popularité du genre l’amène vers une aseptisation. « Le style, qui a été créé par des personnes de couleurs, se retrouve à être « javélisé ». On a enlevé les éléments qui étaient soulful – qui étaient a priori noirs et qui proviennent de la culture américaine – pour la rendre plus européenne. On crée une scène qui a de moins en moins de diversité quand le style émerge de la diversité », déplore la DJ. 

Si la scène house a beaucoup changé ces 20 dernières années, elle continue de fleurir au sein de la métropole, dans toute sa variété. « À Montréal, les styles coexistent, il y a un peu de tout, pour tous. On est très chanceux de ne pas être pris dans les tendances », croit Sandy. On voit présentement le regain d’intérêt généré par les albums Renaissance de Beyoncé, et Honestly, Nevermind, de Drake. « À l’échelle internationale, ça a donné un renouveau, un intérêt public. Sur l’album Renaissance, on trouve la contribution de nombreux  producteurs underground qui ont continué de faire vibrer la scène. C’est pourquoi on sent que ce n’est pas seulement un album qui copie un style, mais qui rend hommage à la scène house », explique Sandy. 

Maison de production 

Deux décennies plus tôt, en se dirigeant vers des études en musique, Sandy avait déjà en tête l’idée de produire de la musique pour des films et de la publicité. « Ma plus grande inspiration, c’est Quincy Jones. Avant de devenir un producteur à succès, il écrivait de la musique pour des films. C’était la direction où je voulais aller », nous dit l’artiste. Si c’est aujourd’hui chose accomplie, alors qu’elle prête son talent et sa voix à des jeux vidéos, de la musique de film et des remix, le parcours vers la production est plus difficile que prévu, étant une femme noire. « Finalement, ça a pris beaucoup de temps avant que je commence à avoir des demandes de production, et pour trouver des gens qui m’ont ouvert la porte », confie Sandy. 

Heureusement, la productrice a bénéficié du support de mentors extraordinaires – en majorité des hommes blancs. Ce sont eux qui lui ont permis de ne pas se décourager. « J’ai malheureusement pensé que dans l’industrie, il y aurait plein de gens comme eux », remarque Sandy. Elle souligne une nuance importante : tout n’est pas noir ou blanc. « Le système a été créé pour avantager un groupe par rapport à l’autre. Heureusement, il y a des gens dans le milieu qui ne sont pas dans cette mentalité, qui veulent partager leurs connaissances. Ils sont plus difficiles à trouver car il y a encore énormément de barrières, et de gens placés pour créer ces barrières » croit-elle. Ce sont ces professionnels ouverts qui ont propulsé l’artiste, l’aidant à prendre confiance, lui offrant des outils. « Ils ont pris le temps de me faire sentir que j’avais ma place » dit-elle. « Quand on unit nos forces, on peut changer les choses ».

C’est ce que la chanteuse souhaite faire avec BLK PRL : « Briser ces barrières pour recréer des ponts, avoir moins peur de se côtoyer, défaire de la musique ensemble malgré le système dans lequel on essaie d’évoluer ».

L’aventure débute avec un nouveau single, Breathe, qui paraîtra bientôt. La chanson porte une grande signification pour l’artiste, qui dans un sens, recommence à zéro pour s’établir sur le marché et se faire redécouvrir. « Je voulais commencer avec l’essence même de ce que je suis, la vulnérabilité, la douceur », dit l’artiste, qui a longtemps souffert d’anxiété. « L’important, c’est de commencer par respirer, et le reste suivra. C’est un outil pour moi et j’espère pouvoir le partager avec les autres. »

Écrit par Christelle Saint-Julien

Illustration par Holly Li