Si vous vivez à Montréal, ou même si vous êtes seulement sur TikTok, vous avez sûrement entendu parler de la musicienne et artiste multimédia Eve Parker Finley. Qu’elle nous fasse rire avec sa comédie péniblement réaliste, qu’elle crée des vidéos virales, ou qu’elle compose de la musique indie pop éthérée, elle est une star prometteuse. Son dernier projet l’amène sur un écran encore plus grand, animant sa propre émission musicale Ten Minute Topline sur CBC Music. Elle invite des musiciens.nes émergents.es et établis.es tels que Basia Bulat et Jeremy Dutcher à composer des chansons en quelques minutes, en s’inspirant de sujets choisis au hasard, dans une variété de genres.
Cette créatrice aux multiples talents a rencontré RAC pour parler de ses débuts, son expérience de viralité sur TikTok, la manière dont ses activités créatives se rejoignent et divergent, et comment devenir l’artiste que l’on veut être.
RAC : Merci d’avoir pris le temps, Eve! Vous avez de nombreuses activités créatives différentes. Dans vos propres mots, comment vous définiriez-vous en tant qu’artiste?
Eve : Je me présente toujours comme musicienne, comédienne et créatrice de toutes sortes, parce que je fais un tas de choses différentes qui ne sont pas toutes liées. Ma musique et ma comédie sont très distinctes, mais avec le temps, je les vois comme différentes expressions d’une même mission artistique : aider les gens à ressentir des choses et aussi m’aider moi-même à en ressentir.
RAC : Quelles sont vos plus grandes influences musicales?
Eve: Je me sens très influencée par le indie rock canadien de la fin des années 2000 au début des années 2010. À cette époque, on voyait souvent des instruments à cordes dans les groupes de rock. Des bands comme Broken Social Scene m’ont fait comprendre que les cordes pouvaient être cool. Cela a eu une grande influence sur moi, car je suis formée en musique classique, mais je ne l’aimais pas tant que ça. J’ai failli abandonner la musique et le violon à l’université, mais il y a eu cette vague de musique qui m’a fait comprendre que le classique pouvait être cool.
Je suis aussi très influencée par la musique pop, dance, techno et house. Lady Gaga est certainement une grande influence – je suis une « Little Monster » depuis son album The Fame. Ensuite, il y a l’autre côté du spectre avec Enya : c’est éthéré, beau, doux. Mon grand-père écoutait Enya tout le temps. Je trouve qu’elle n’est pas très éloignée de la musique classique qui m’entourait lorsque j’étais enfant. Des artistes comme Moses Sumney et Kelsey Lu sont également de grandes influences.
RAC : Comment ces artistes ont-ils contribué à vous former en tant que musicienne?
Eve : Ce qui m’a influencée chez Lady Gaga, ce n’est pas tant sa musique que son personnage et la façon dont elle le présente au monde. Je pense que cela a joué un rôle énorme dans ma perception de ce que signifie réellement être le genre d’artiste que je veux être – pas seulement faire de la musique cool, mais aussi partager sa personnalité d’une manière qui aide les gens à se connecter à ce qu’on crée.
J’aime parler et échanger directement avec le public ; je sais que beaucoup d’artistes ont du mal à le faire. Je déteste le fait que nous vivons dans un monde où il faut donner beaucoup de soi pour que les gens écoutent sa musique. Je pense que les gens devraient pouvoir être tout simplement des musicien.nes s’ils le souhaitent. Mais j’aime vraiment cet aspect de partage et de connexion avec les gens.
RAC : Quand et comment avez-vous commencé à faire de la musique ?
Eve : J’ai commencé à jouer du violon à l’âge de trois ans et demi. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours joué du violon, mais j’ai dû redécouvrir ma relation avec cet instrument. Lorsque j’ai quitté la maison, j’étais plongée dans la musique classique et c’était assez stressant. Puis, lorsque je suis entrée à l’université, j’ai commencé à jouer dans de petits groupes indépendants avec des amis. Ce n’est qu’en 2015 environ que j’ai trouvé que j’avais gagné la confiance pour essayer d’écrire de la musique moi-même.
J’ai passé beaucoup de temps seule à expérimenter avec la musique, en essayant d’écrire à partir de différents points d’entrée – comme le bouclage du violon et l’apprentissage de la production sur Ableton. Le fait de découvrir que je pouvais faire passer mon violon par des effets et des boucles m’a ouvert tout un monde. En tant que violoniste adolescente, j’adorais jouer dans une grande église avec une réverbération naturelle, et lorsque j’ai découvert que je pouvais recréer cela de manière synthétique, c’était vraiment excitant.
Ça change toujours! Pour les dernières chansons sur lesquelles je travaille, j’ai commencé au piano plutôt qu’au violon, ce qui est intéressant. Mon père est un pianiste classique, le piano a donc toujours occupé une place importante dans mon subconscient. J’ai l’impression que la prochaine chose que je fais commencera à un autre endroit – on verra ce qui se passe.
RAC : Est-ce que vos formes d’art (musique, comédie, création TikTok, animation télé) se croisent ou avez-vous tendance à les garder séparées ?
Eve : Je suis en train de comprendre comment ils se croisent. J’ai commencé à essayer la comédie et TikTok pendant la pandémie. J’ai toujours voulu communiquer ce que je pensais du monde et des situations quotidiennes bizarres, et la comédie m’a permis de le faire d’une nouvelle manière. En même temps, j’ai toujours aimé faire de la musique joyeuse, mais aussi très sérieuse et introspective. La toute dernière façon dont j’ai découvert que mes formes d’art se croisent dans mes concerts est en testant les meilleures parties de mon stand-up entre les chansons. J’aime la juxtaposition d’une histoire très drôle et d’une chanson très introspective – cela enrichit l’expérience émotionnelle du spectacle. Je réfléchis à tout ça pour mon prochain projet musical, quel qu’il soit.
J’ai toujours été quelqu’un qui aime faire un tas de choses différentes, et j’aime qu’elles ne soient pas nécessairement regroupées sous un même chapeau.
RAC : Comment s’est déroulée l’expérience de devenir virale sur TikTok et Instagram ?
Eve : Cela m’est arrivé quelques fois. Je me souviens de la première fois que j’ai eu une vidéo qui a atteint 1 million de vues, j’ai ressenti un pic de dopamine. C’est une réaction physique. Puis, quelques jours plus tard, j’ai ressenti un véritable « down » et un manque physique suite à cette sensation d’euphorie.
Aujourd’hui, je ne ressens plus la même joie lorsque j’obtiens une tonne de vues, mais en échange, je ne ressens pas non plus le « down » de cette expérience. Je pense que ma relation avec les réseaux sociaux et la façon dont je suis perçue en ligne est devenue plus saine. J’aime toujours créer et partager, mais je postais sur TikTok trois fois par jour, et maintenant je le fais juste quand j’en ai envie. Cela me manque un peu, mais je pense que c’est bien d’avoir des limites et de faire des pauses. Les artistes devraient s’inspirer des grands musiciens qui ont des périodes où ils sont présents avec un album, ils sont dans la presse en train de partager des choses, puis ils disparaissent pendant un an. Je suis là pour le long terme ; je veux être artiste aussi longtemps que possible. Si cela veut dire faire des pauses, je le ferai.
Découvrez la musique et la comédie d’Eve Parker Finley sur TikTok
RAC : On a récemment publié un article intitulé Le burnout : trouver l’équilibre dans l’industrie de la musique. Comment faites-vous pour équilibrer tout ce que vous faites sans vous sentir débordée? Avez-vous des conseils à donner pour éviter d’en arriver là?
Eve : J’ai fait un burnout au début de 2020 parce que je voulais vraiment être artiste, mais j’avais un emploi stressant à temps plein. Cela m’a amenée à prendre un arrêt pour raisons d’épuisement professionnel, puis je n’y suis plus jamais retournée. Il m’est presque arrivé, en tant qu’artiste, de travailler tellement que mon corps s’est demandé si je n’étais pas en train de me surmener de la même manière. J’essaie d’être très prudente et attentive à ce sujet. Mais il faut apprendre à écouter son corps et à y prêter attention.
Pour plus de conseils, consultez notre article: Le burnout : trouver l’équilibre dans l’industrie de la musique
Un aspect du burnout que les gens ne comprennent pas toujours est le temps qu’il faut pour s’en remettre. J’en ai parlé à mon médecin de famille et à mon thérapeute – on parle d’une demi-année ou d’une année de récupération. J’ai dû apprendre à ne rien faire. Les gens pensent qu’il leur suffit de prendre quelques semaines de congé pour se remettre, mais ce n’est pas le cas, cela prend longtemps. Je pense que les artistes devraient avoir l’espace nécessaire pour le faire – même si on a l’impression qu’on doit continuer de travailler pour éviter de devenir insignifiants. On ne peut pas être utiles et faire de l’art si l’on ne guérit pas.
RAC : Bravo pour votre toute première émission de télé! Pouvez-vous nous raconter comment cette opportunité s’est présentée ?
Eve : C’est une confluence de hasards et d’avoir été au bon endroit au bon moment. En 2021, j’ai rencontré Craig Desson, producteur de Radio-Canada Montréal, lors d’une interview locale. On a longtemps discuté d’idées et on voulait créer quelque chose de musical, mais aussi d’amusant. Finalement, on a eu l’idée d’une émission ludique d’entrevues avec des artistes, où l’on pourrait parler avec eux et montrer leur personnalité sans qu’il s’agisse d’une simple performance. Nous avons créé 10 Minute Topline, où les musicien.nes ont 10 minutes pour écrire une mélodie et des paroles sur une piste d’accompagnement selon ce qu’on tire d’un chapeau. C’est tellement amusant à tourner, c’est la distillation parfaite des différentes choses qui m’intéressent : la comédie, mais aussi l’animation et la musique. Les 5 premiers épisodes ont été réalisés avec des personnes que je connais personnellement dans ma communauté et je suis très fière de ce que nous commençons à faire.
RAC : Votre émission est axée sur l’écriture de chansons sous toutes ses formes. À quoi ressemble votre processus d’écriture ?
Eve: C’est différent à chaque fois. Depuis quelques années, je commence par le piano, et ça m’a menée dans une direction intéressante. J’aime trouver un point d’entrée et voir ce qui se construit à partir de là. Dernièrement, c’est le piano, mais souvent aussi le synthétiseur, le violon ou Ableton. Souvent, je développe une chanson jusqu’à ce qu’elle ait besoin de paroles, puis je m’arrête et je réfléchis aux paroles. Je déteste vraiment les paroles – je n’ai jamais eu de relation significative avec les mots – mais les mots sont beaucoup plus importants dans cette collection de chansons que je n’ai pas encore sortie, ce qui est amusant à explorer.
RAC : Pouvez-vous nous révéler les prochains invité.es de votre émission ou des projets musicaux à venir?
Eve: Ce n’est pas encore confirmé, mais je peux vous dire que ce sera toujours un mélange d’artistes émergent.es et plus établi.es, ce que j’aime… et j’espère qu’un jour Avril Lavigne sera au rendez-vous. Il y aura aussi beaucoup de musique cette année que j’ai hâte de partager… mais je ne sais pas quand!
Texte écrit et traduit par Maryse Bernard
Illustration par Yihong Guo