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Le plagiat dans la musique n’est rien de nouveau. Il existe en fait depuis aussi longtemps que l’industrie musicale elle-même. Cependant, le concept de ce qui appartient exactement à qui a évolué au fil des années, ce qui nous amène à un carrefour intéressant dans le domaine de la musique.

Ce qui était autrefois un simple cas de vol flagrant de la musique d’une autre personne a évolué vers une situation où la culpabilité est beaucoup plus ambiguë. Le plagiat musical est non seulement répandu, mais pratiquement inévitable, et il prend une direction étrange. Aujourd’hui et dans le futur, identifier le plagiat semble être une tâche difficile, ce qui met les musiciens dans une situation précaire.

Il existe une définition générale du plagiat : c’est quand on prend le travail d’un autre et on le présente comme le sien. Dans le monde de la musique, la personne qui allègue une violation du droit d’auteur doit prouver deux choses. La première est l’accès, c’est-à-dire que le défendeur a entendu, ou peut vraisemblablement être présumé d’avoir entendu, la chanson originale avant d’écrire la sienne. La deuxième est la similarité substantielle, c’est-à-dire que l’auditeur moyen peut dire qu’une chanson a été copiée de l’autre. Plus les deux œuvres ont d’éléments en commun, plus elles sont susceptibles de présenter des similarités créatives.

Tout ceci semble très noir et blanc, mais il y a toujours une énorme zone grise à examiner. À l’école, on nous prévient des dangers du plagiat : présenter les mots et les idées d’un autre comme les siens peut mener à l’expulsion. Par contre, citer et reconnaître le travail des autres est la clé de l’écriture et de la recherche réussies. La musique, cependant, c’est une autre histoire ; les limites ne sont pas aussi bien définies. Un auteur-compositeur peut-il publier de la musique dont la mélodie est semblable à celle d’une autre chanson, mais dont les paroles et le tempo sont complètement différents ? Le sampling est-il du plagiat ? Ou s’agit-il simplement d’une forme plus moderne de créativité ? Peut-être plus important encore, les lois actuelles sur le droit d’auteur font-elles bien leur travail ?

L’histoire complexe du plagiat en musique est pleine de rebondissements, de bouleversements majeurs, de genres entiers qui voient le jour et de confusion générale, tant au niveau des lois sur le droit d’auteur que de l’industrie musicale dans son ensemble. Dans cette série en trois parties, nous allons examiner l’évolution du plagiat musical au fil des décennies, de Led Zeppelin à Olivia Rodrigo. Ce n’est pas une affaire simple mais comme pour beaucoup de choses, c’est comme ça que ça a commencé.

Copie carbone

L’un des premiers exemples les plus notables de plagiat musical est aussi l’un des moins compliqués. En 1963, les Beach Boys ont sorti Surfin’ U.S.A..

C’était un hit. Le plus grand succès de 1963, en fait. Il a confirmé la place des Beach Boys dans les livres d’histoire de la musique en devenant la bande sonore d’une génération et la base du California Sound. Et pourtant, ce n’est pas leur chanson. Nous pouvons le dire définitivement maintenant, puisque les Beach Boys l’ont avoué lorsque Chuck Berry a lancé l’un des premiers grands cris de plagiat après sa sortie. Ils ont tout volé sauf les paroles de la chanson Sweet Little Sixteen de Berry. 

Heureusement, il y a une certaine humilité dans ce cas. Les Beach Boys ont cédé à Berry des droits d’auteur sur chaque version de Surfin’ U.S.A après 1966. Il est rapporté que Berry lui-même était assez fan de la copie, ce qui fait que cette histoire se termine bien. Malheureusement, ce n’est pas toujours aussi simple que ça. 


En 1970, George Harrison a sorti le triple album All Things Must Pass. En tête de la formidable liste de titres de l’album figure My Sweet Lord, une explosion spirituelle saccharine qui est sans doute l’un des meilleurs projets solo de Harrison.

Malheureusement pour lui, The Chiffons et leur éditeur musical Bright Tunes avaient leur mot à dire, ce qui a donné lieu à l’un des procès de plagiat les plus longs de l’histoire des États-Unis. Harrison a soutenu que son plagiat de He’s So Fine par The Chiffons était purement accidentel. Il a déclaré dans sa biographie I, Me, Mine : « Je n’étais pas conscient de la similitude avec He’s So Fine. Quand j’ai écrit la chanson, c’était plus improvisé et non fixé ».

Curieusement, la cour était d’accord avec lui. Bien que le juge ait conclu que « les deux chansons sont virtuellement identiques », il a aussi été décidé que Harrison avait simplement copié la chanson inconsciemment. Il semble donc que l’on peut s’en tirer avec le plagiat flagrant devant un tribunal – si on est un Beatle, bien sûr. 

Lorsqu’il s’agit de plagiat éhonté, il y a un groupe qui domine. Le nombre de fois où Led Zeppelin a été remis en question est un véritable exploit. Ils ont presque fait du plagiat une forme d’art. Le groupe lui-même a, bien entendu, toujours défendu son vol comme un hommage ou une injection d’adrénaline à des chansons qu’il admirait, mais c’est clair que de grandes libertés ont été prises avec la musique des autres.

La chanson Babe I’m Gonna Leave You du premier album de Zeppelin a en fait été écrite par Anne Bredon dans les années 1950, Robert Plant a délibérément volé les paroles de Willie Dixon pour Whole Lotta Love, et ils n’ont même pas pris la peine de changer le titre de Dazed and Confused de Jake Holmes. Le batteur John Bonham a même utilisé un beat de batterie de Little Richard comme force motrice pour propulser Rock & Roll de Zeppelin jusqu’à la stratosphère. Mais il n’y aura jamais de poursuites judiciaires pour ça, car contrairement aux paroles et aux mélodies, les rythmes ne sont pas protégés par la loi sur le droit d’auteur – du moins, pas lorsqu’ils sont joués en direct, mais nous reviendrons à ce sujet plus tard. 

La liste des transgressions de Zeppelin est longue, mais il y a un morceau qui se distingue pour plusieurs raisons. Premièrement, ce n’est pas seulement leur chanson la plus célèbre, c’est aussi l’une des plus célèbres de tous les temps. 

De plus, c’est une affaire qui n’est toujours pas réglée, du moins selon certains. En 2014, le journaliste Michael Skidmore a poursuivi Zeppelin au nom de la succession de Randy Wolfe, le leader défunt du groupe Spirit. Selon lui, Zeppelin aurait volé le riff d’ouverture de la chanson Taurus de Spirit. 


Un des facteurs clés dans cette affaire, et dans beaucoup d’affaires de droit d’auteur, est l’accès. En gros, est-il concevable que quelqu’un ait eu accès à la musique qu’il est soupçonné de plagier – est-il probable qu’il l’ait déjà entendue ? Dans ce cas, il semble oui, car il est rapporté que Plant a vu Spirit jouer dans un club de Birmingham en 1970, un an avant la sortie de Stairway to Heaven. Le bassiste de Spirit, Mark Andes, a témoigné qu’il avait rencontré Plant au concert et avait même joué au snooker avec lui après. Plant, par contre, insiste qu’il n’a aucun souvenir de la soirée. Ce n’était pas à cause de la consommation de drogues ou d’alcool, comme on pourrait penser, mais parce qu’il a été impliqué dans un grave accident de voiture sur le chemin du retour. Cela rend l’idée d’accès encore plus délicate.

Malheureusement pour Spirit, le jury a conclu que les deux chansons n’étaient « pas intrinsèquement similaires », mais il faut noter qu’il ne leur a pas été permis d’écouter Taurus lors du procès, car celle-ci était protégée par l’ancien Copyright Act de 1909, qui ne s’applique qu’aux partitions. La Cour suprême a rejeté l’appel en mars 2020, donnant ainsi à Zeppelin une victoire par défaut. Cela devrait être la fin de l’histoire, mais d’après l’avocat de Skidmore, c’est une bataille qui s’éternise. Nous n’aurons peut-être jamais de réponse définitive, mais il serait beaucoup plus facile de faire confiance à Zeppelin si le groupe n’avait pas été coupable de nombreux autres incidents de plagiat au cours des années. 

Si les années 60 et 70 ont été marquées par plusieurs cas de plagiat, ils étaient tous assez simples. Le vol d’une mélodie, de paroles, ou même d’une chanson entière suscitait le débat. Cependant, l’essor du hip-hop dans les années 80 et 90 a donné naissance à un tout autre phénomène. Le sampling est devenu underground, mais des artistes comme les Beastie Boys ont connu un énorme succès avec des albums comme Paul’s Boutique, qui contient entre 100 et 300 échantillons. Aujourd’hui, l’échantillonnage fait toujours partie du patrimoine musical, mais il est loin d’être aussi démocratisé qu’à l’époque, comme nous allons l’apprendre dans la deuxième partie de L’évolution du plagiat dans la musique : l’échantillonnage, vol ou recyclage sonore ?

Texte écrit par Daryl Keating

Texte traduit par Maryse Bernard

Illustration par Yihong Guo