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Commencer une nouvelle année dans l’industrie musicale est une période excitante remplie de nouveaux projets et de possibilités. C’est un nouveau départ qui redonne aux artistes et aux professionnels du secteur un sentiment d’inspiration et de motivation. Il faut s’inscrire à des festivals, terminer des albums et saisir toutes les opportunités créatives et professionnelles à venir pour cette année.

Alors que faire lorsque tous vos pairs semblent avancer à grands pas mais que vous avez l’impression d’être en retard ? La pression pour rester dans la course peut être écrasante pour les musiciens.nes comme pour leurs équipes. Tout le monde publie ses meilleurs moments en ligne et il est facile de se comparer et de se concentrer sur ses défauts plutôt que sur ses réussites.

RAC a rencontré cinq membres de l’industrie musicale canadienne, allant des musiciens.nes aux producteurs.rices en passant par les gérants de salles et les responsables de labels, afin de connaître leurs expériences avec le « burnout » (l’épuisement professionnel) et les façons qu’ils ont trouvé pour y faire face avant d’être dépassés. 

Jonny Tobin, claviériste et producteur nominé aux prix Grammy

L’artist Jonny Tobin. Crédit photo: Alex Townsend

RAC : Quelle est votre expérience avec le burnout en tant qu’artiste ?

Jonny : Je ne pense pas avoir atteint un burnout complet, mais je suis presque constamment sur le point d’y arriver. Je fais de la musique à temps plein et en tant que pigiste, il faut souvent dire oui à tout. Quand le calendrier est vide on a l’impression qu’il faut le remplir, mais ensuite je le remplis à ras bord et je me sens surchargé. Parfois, c’est 10 jours de suite. J’étais juste en tournée, je n’ai eu qu’un jour de congé puis je me suis lancé dans des répétitions de 7 heures. Heureusement, je suis en congé aujourd’hui, mais si ce n’était pas le cas, je serais au stade de l’épuisement professionnel. Lorsque je surcharge et empile les choses, je ressens une impuissance face à mon propre horaire. 

Il est nécessaire de fixer clairement les limites. Je garde tous mes spectacles et mes obligations dans un calendrier, puis je note mes jours de congé comme un engagement. Il faut se défendre nous-mêmes, prendre notre pouvoir et maîtriser notre emploi du temps. Il peut être très difficile de dire non mais on doit écouter son cœur et sa santé mentale. Je pense que l’une des clés de la création artistique est de prendre du temps de repos pour ne pas créer.

RAC : Ressentez-vous plus de pression ou d’inspiration au début de l’année, surtout en voyant tous les projets sur lesquels travaillent vos pairs ?

Jonny: Je pense qu’il est facile parfois de se comparer. Nous passons beaucoup de temps à regarder ce que tout le monde fait en ligne. On voit la page de quelqu’un et on se dit : « Cette personne en fait tellement… je dois en faire plus ». Les gens pensent souvent que je fais beaucoup parce que je poste presque tous les jours, mais je ne publie pas vraiment quand j’ai un jour de congé. Normaliser le partage des jours de repos sur les réseaux sociaux pourrait réduire le syndrome de FOMO (« peur de rater quelque chose »). En fait, je suis capable d’en faire plus quand je me donne du temps libre. Il est important de cultiver ces moments pour jouer. Parfois, lorsque vous avez trop de rigidité, ça enlève du plaisir.

RAC : Avez-vous appris des astuces pour éviter l’épuisement professionnel ou pour gérer le sentiment d’être débordé ?

Jonny: Planifier des jours de congé à l’avance, c’est génial. Lorsque vous êtes dans une situation urgente et que vous êtes sur le point de vous épuiser, essayez de prendre les choses un jour à la fois. Si vous êtes dans une période très chargée, prenez une heure dans la journée pour faire quelque chose pour vous: peut-être une marche ou un sauna. Faites une pause des réseaux sociaux et de la technologie. Dites-vous : « Je ne vais pas utiliser mon téléphone pendant 24 heures », puis rangez vraiment votre téléphone. 

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Sarah Armiento, gérante d’artistes et fondatrice du label Hot Tramp

La fondatrice de Hot Tramp Records, Sarah Armiento. Crédit photo: Maryse Bernard

RAC : Quelle est votre expérience avec le burnout en dirigeant votre propre label et votre agence de gestion d’artistes ?

Sarah : Dans ce secteur, vous ressentez le besoin de remplir plusieurs rôles juste pour gagner votre vie. Donc mon expérience principale est d’avoir l’impression de toujours devoir en faire plus : je ne peux jamais faire un seul travail. Par exemple, en plus du label Hot Tramp et de la gestion d’artistes, je dois aussi rédiger des demandes de subvention en freelance ou sous-traiter mes services ailleurs, tout en concentrant mes efforts sur la compagnie que j’essaie de développer. Je pense que l’épuisement professionnel est le sentiment que vous vous surchargez constamment et que ça vous empêche d’atteindre vos objectifs. Ce cycle peut être décourageant.

RAC : Ressentez-vous plus de pression ou d’inspiration au début de l’année, surtout en voyant tous les projets sur lesquels travaillent vos pairs ?

Sarah : L’industrie de la musique vous donne un mois pour prendre de l’avance et planifier, donc je me sens plus inspirée en début d’année. Il y a un certain optimisme. C’est une nouvelle saison de tournée au printemps et c’est comme un nouveau début. Je dirais que je me sens plus anxieuse au milieu de l’année ou à l’automne.

Je suis certainement ma plus grande critique. Quand on dirige sa propre entreprise, il y a toujours quelque chose de plus à faire ou une prochaine étape à franchir. Lorsque vous voyez sur les réseaux sociaux des projets qui progressent plus vite que les vôtres, ça peut être difficile. Il est important de ne pas se comparer aux autres, car c’est un jeu perdu d’avance. Il n’y a pas de formule exacte pour réussir et le rythme de chacun est différent. C’est quelque chose que j’ai dû apprendre au fil des années.

Logo Hot Tramp

RAC : Avez-vous appris des astuces pour éviter l’épuisement professionnel ou pour gérer le sentiment d’être débordée ?

Sarah : J’essaie de m’éloigner de ces marqueurs de réussite quantifiables et de continuer à me concentrer sur les projets qui m’inspirent. Je me focalise moins sur le fait d’avoir obtenu X playlist sur Spotify ou de nombre de followers parce que je pense que, même une fois que vous avez atteint ces marqueurs que vous pensez vouloir, il y aura toujours les suivants que vous n’aurez pas atteints. Assurez-vous de participer à des projets auxquels vous croyez vraiment et que vous êtes heureux.se de mettre au monde. Considérez cela comme une réussite en soi et évitez de mettre un chiffre sur la réussite.

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Janette King, chanteuse, multi-instrumentiste et DJ

L’artiste Janette King. Crédit photo: Sheldon Green

RAC : Quelle est votre expérience avec le burnout en tant qu’artiste ?

Janette : Je passe généralement par des périodes d’hyper créativité et puis plus rien. Je ne sais pas si c’est nécessairement dû au burnout mais je ressens beaucoup de pression de la part des réseaux sociaux et de ma propre boussole interne dans ce que je pense devoir accomplir. Cela peut nuire à ma créativité et m’amener à me concentrer sur ce que je ne fais pas, ce qui est forcément un facteur de stress. 

En général, pour quelqu’un qui n’a pas une grande équipe, il y a tellement de choses à gérer. De nos jours, il faut faire sa propre promotion tout en restant à l’affût des tendances sur les réseaux sociaux et des nouveaux moyens de diffuser sa musique, comme TikTok. Il faut faire tellement pour arriver à quelque chose et cela affecte la créativité de l’écriture musicale. C’est un travail difficile et on se fatigue… C’est parfois décourageant.

RAC : Ressentez-vous plus de pression ou d’inspiration au début de l’année, surtout en voyant tous les projets sur lesquels travaillent vos pairs ?

Janette : Le début de l’année est toujours un moment positif pour moi. J’aime me recentrer et l’idée de repartir à zéro. Je m’inspire des gens qui m’entourent mais c’est généralement un phénomène interne dans lequel je me sens à nouveau inspirée par mes propres convictions.

Il peut être dur de conserver cette inspiration tout au long de l’année. Je finis par heurter un mur au moment des festivals, surtout quand je ne suis pas invitée à participer à beaucoup de grands festivals: ça me fait mal à l’âme ! On commence l’année avec tous ces espoirs autour du travail qu’on fait, et quand ça ne se produit pas, on en arrive à se demander pourquoi on fait tout ça. Mais il y a toujours des cycles et je pense qu’il est important de voir le bon côté des choses.

RAC : Avez-vous appris des astuces pour éviter l’épuisement professionnel ou pour gérer le sentiment d’être débordée ?

Janette : J’essaie de penser aux choses que j’ai accomplies : mon groupe, le fait que j’ai une manager qui me soutient énormément, le fait que plein de gens m’ont envoyé des messages disant que ma musique les avait aidés à traverser une période sombre. Lorsque je me calme, me centre et que tout est tranquille, je me demande alors ce que je veux: la réponse est toujours d’écrire de la musique et de chanter. J’ai toujours eu l’impression que c’était ma voie. Il faut juste persévérer.

Faire une pause musicale me donne en fait le sentiment de pouvoir me consacrer à nouveau à la musique. Faire de l’exercice, voyager et vivre de nouvelles expériences m’inspirent.

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Jason Bissessar, responsable du marketing et des partenariats éditoriaux

Jason Bissessar, professionnel de l’industrie musicale

RAC : Quelle est votre expérience avec le burnout en travaillant en marketing dans l’industrie de la musique ?

Jason : Lorsque l’année commence, je me sens revigoré, mais il y a une année entière à venir et les premiers mois à Montréal sont froids. D’habitude, je me repose autour des fêtes. Malgré tout, quand vous commencez une nouvelle année avec la noirceur hivernale, la neige et le travail à domicile, vous savez que les premiers mois ne seront pas les meilleurs pour l’énergie et la motivation. Cela dit, je m’en sors et je ne pense pas m’être jamais senti épuisé.

RAC : Ressentez-vous plus de pression ou d’inspiration au début de l’année, surtout en voyant tous les projets sur lesquels travaillent vos pairs ?

Jason : L’inspiration peut venir à tout moment de l’année. Cela dépend des projets sur lesquels je travaille et de la passion des gens. Cela me donne de l’énergie et me motive. C’est super amusant lorsque quelque chose de nouveau arrive en janvier ou février. Je suis inspiré par les équipes des artistes, leurs managers, la qualité de la musique et les projets à venir. Je travaille dans le domaine du streaming, du marketing et des stratégies et c’est gratifiant d’aider les gens à atteindre leurs objectifs.

Je ne ressens jamais vraiment de pression quand je sais que j’ai fait tout ce que je pouvais. Vous avez des plans d’action en place, vous faites de votre mieux, et si ça ne marche pas, vous essayez autre chose. J’aurai mon expérience derrière moi et évidemment je n’en suis pas heureux, mais il y a toujours une prochaine fois, une prochaine chanson ou un prochain album.

RAC : Avez-vous appris des astuces pour éviter l’épuisement professionnel ou pour gérer le sentiment d’être débordé ?

Jason : C’est une question d’expérience. Lorsque vous avez travaillé assez longtemps dans votre domaine, vous avez connu des succès et des échecs, petits et grands. Il est important de l’avoir vécu: c’est peut-être même plus crédible car cela vous permet d’expliquer et de partager avec les personnes avec qui vous travaillez ce que vous avez vu se produire dans le passé et comment tourner les choses de manière positive.

Austin Wrinch, cofondateur et gérant du Club Social Le Scaphandre

Le Club Social Le Scaphandre à Montréal

RAC : Quelle est votre expérience avec le burnout en tant que responsable d’une salle de spectacle multimédia populaire ?

Austin : Je me suis senti le plus épuisé pendant les périodes de confinement total lorsque je n’avais pas la possibilité de faire ou de planifier des choses. Je trouve qu’une grande partie de la gestion du burnout est d’être capable de me poser et mettre des dates dans le calendrier. Durant la pandémie, on ne pouvait pas vraiment planifier quoi que ce soit à une semaine d’avance sans savoir si le monde allait changer. L’épuisement pour moi, c’était d’avoir de l’énergie sans pouvoir la faire sortir. 

Il y a aussi des moments où je dois décrocher et mettre mon téléphone de côté, habituellement juste pour un après-midi. Mais j’aime avoir une liste de tâches à faire:ça me donne du pouvoir et m’aide à me sentir plus en contrôle.

RAC : Ressentez-vous plus de pression ou d’inspiration au début de l’année, surtout en voyant tous les projets sur lesquels travaillent vos pairs ?

Austin : Je pense que je suis encore très conscient du fait que c’est incroyable d’avoir une salle pleine de gens qui dansent, font la fête et ne vivent pas dans la peur. Ça me donne de l’énergie quand il y a un gros spectacle parce que, jusqu’à récemment, tout cela semblait impossible. L’expérience de vivre au Québec avec le couvre-feu m’a fait comprendre l’importance d’avoir des gens qui écoutent de la musique ensemble dans une salle et à quel point c’est fragile. Je ne veux plus perdre de temps.

Spectacle au Scaphandre à Montréal

La pression vient surtout du fait qu’au Club Social le Scaphandre, nous essayons toujours de faire autant de choses différentes que possible, qu’il s’agisse de spectacles de musique, de drague ou de comédie, et ce, tous inscrits au calendrier simultanément. L’objectif est de toujours maintenir la diversité. L’espace est plus en demande qu’il ne l’était avant et la pression provient de l’effort pour maintenir la mission initiale.

RAC : Avez-vous appris des astuces pour éviter l’épuisement professionnel ou pour gérer le sentiment d’être débordé ?

Austin : Accordez-vous du temps pour débrancher. Je ne suis pas très réseaux sociaux, alors, à moins que ce soit pour le travail, j’essaie activement de ne pas regarder les écrans quand ce n’est pas nécessaire. Je médite, j’essaie de bien manger et de boire beaucoup d’eau. Adopter des habitudes de vie saines fait vraiment la différence en termes d’épuisement professionnel. Je me suis rendu compte que lorsque vous arrivez à ce point, même si vous avez des tonnes de choses à faire et des gens en attente, vous vous en sortirez probablement mieux si vous prenez un jour de congé. Il est facile d’être stressé.e ou dépassé.e, alors entourez-vous de personnes qui peuvent vous rappeler que la vie est en fait assez simple. 

Il est impressionnant de voir à quel point les communautés musicales et artistiques sont résilientes, même face à autant de défis et au manque de stabilité financière. C’est gratifiant de faire quelque chose dont on a clairement besoin. On y consacre beaucoup d’énergie, mais celle qu’on reçoit en retour, on ne peut pas vraiment l’obtenir ailleurs.

Découvrez le Club Social le Scaphandre: Site web | Instagram

– Dernières notes –

Que ce soit pour une journée, ou même juste une heure, il est important pour tous les membres de l’industrie musicale de faire une pause. Les moyens de se déconnecter peuvent être aussi simples que de ranger son téléphone, de décrocher des réseaux sociaux, de faire de l’exercice ou de prendre le temps de respirer et de se recentrer sur ses objectifs en période chaotique. Il est particulièrement important de donner la priorité à la santé mentale dans un secteur qui peut nous donner l’impression qu’on n’a pas vraiment « le droit » de prendre des congés.

Enfin, notre performance et notre énergie seront toujours plus fortes si nous rechargeons nos batteries créatives avant qu’elles ne s’épuisent. En 2023, encourageons-nous les un(e)s les autres à écouter notre corps et notre esprit et à nous reposer quand il le faut afin de vivre l’année la plus productive et épanouissante possible.

Texte écrit par Maryse Bernard
Illustration par Yihong Guo