fb

Après avoir complété son BAC en gestion internationale dans son pays natal, la Turquie, Emre Ekici sait que ce domaine n’est pas pour lui. Il se lance alors dans une nouvelle aventure en déménageant au Québec pour étudier dans son domaine de prédilection: l’enregistrement musical.

L’ingénieur de son spécialisé dans l’enregistrement sonore et la postproduction audio pour les médias visuels se souvient de lui, à ses débuts, comme d’un Peter Pan : il était intéressé à tout mais ne connaissait rien. Le temps, sa curiosité et son ouverture à essayer plein de choses lui ont permis de finalement comprendre ce qui fonctionnait bien pour lui.

En revanche, cela ne lui a pas pris beaucoup de temps pour se dessiner une carrière qui a commencé pendant ses études au RAC. Débutant avec quelques contrats de postproduction pour des documentaires et court-métrages, actuellement Emre a à son actif des expériences professionnelles au Canada, en Turquie et au Japon et des participations dans des films qui ont été diffusés dans 15 pays.

Celui qui a maintenant pied à terre au Japon a partagé avec RAC son parcours et ses connaissances acquises au travers de milliers de kilomètres qu’il a parcouru, des cultures dans lesquelles il s’est imprégné et des personnes rencontrées sur sa route. Tout ça pour orchestrer sa vie autour du son et de la musique.

Le film sur lequel vous auriez aimé travailler pour le mixage ? Je suis toujours autant captivé après vingt ans : La série du Seigneur des Anneaux.

Quel est votre repas pendant une session d’enregistrement en studio ou pour une performance live ? J’aime les sandwichs du dépanneur !

Quel est le matériel dont vous ne pouvez pas vous passer ? Je me suis habitué au casque Sennheiser HD 650, et, à ce stade de ma vie, je n’ai vraiment pas envie de m’adapter à d’autres.

Quelle musique/artiste/bande joue dans vos écouteurs ? Franz Liszt, Vladimir Horowitz – Années de pèlerinage I, S. 160: No. 6, Vallée d’Obermann.

RAC : Quelques mois après avoir terminé vos études à RAC, vous avez travaillé sur le documentaire de la virtuose canadienne, Angèle Dubeau, qui a été sélectionné pour le 37e Festival international des films d’art (FIFA 2019) et qui en a été le film de fermeture. Pouvez-vous nous partager votre cheminement dans le monde de la post-production et des images en mouvement?

Emre : Je pense que l’idée du bon moment, du bon endroit et des bonnes personnes est généralement la clé. Je sais que c’est un cliché mais c’était aussi mon cas. Ma colocataire était cinéaste et elle réalisait un court-métrage de marque. Je lui ai proposé de composer la musique et j’ai fait un peu de restauration audio pour les bruits indésirables pendant la post-production. Ses parents sont des cinéastes chevronnés et ils ont aimé mon travail. Ils m’ont engagé pour mixer un long métrage : Mental States (2018).

Initialement, j’étais chargé d’organiser la session Pro Tools mais j’ai fini par faire tout le mixage. J’ai également réalisé le mixage surround à RAC. Je travaille toujours avec ces personnes fantastiques qui m’ont donné l’opportunité et m’ont aidé à grandir. En tant qu’étudiant de RAC, j’étais sûr de moi pour mixer un long métrage pour la télévision et de bien livrer la marchandise avec les bonnes spécifications surround. La chance sourit aux audacieux. De plus, je pense que dans l’industrie de la musique, on ne trouve pas un emploi, on s’en crée un.

RAC : Est-ce que vous pouvez décrire davantage votre approche avec les artistes que vous enregistrez ? Est-ce qu’il y a des choses particulières que vous trouvez importantes à appliquer dans votre travail auprès d’eux ?

Emre : Les gens sont différents et leurs besoins aussi. Je pense qu’il est crucial de pouvoir comprendre ce qui n’est pas dit ou de « lire entre les lignes ». Sinon, ils n’auraient pas besoin d’un ingénieur du son et ils se débrouilleraient seuls. Cela consiste à être un grand communicateur. Je n’ai jamais vu un client mécontent lorsque je faisais un effort additionnel. Mais je dois aussi me rappeler qu’il y a des choses  « indispensables » et des « petits plus ». Je vérifie toutes les 5 secondes si je fais ce qu’il faut pour le projet. Ensuite, je peux aller vers des choses plus agréables si nous avons le temps. Avec cet état d’esprit en général, tout cela a fonctionné pour moi. C’est essentiel de traiter chaque enregistrement ou projet de manière holistique pour réussir.

RAC : Avec votre expérience dans plusieurs pays, et plus particulièrement au Japon, pouvez-vous nous donner plus de détails sur les différents aspects culturels à considérer en tant que professionnel du son ?

Emre : Les aspects culturels constituent en effet un tout autre monde. La culture est assez délicate à définir et la musique est également considérée comme une activité culturelle. On ne peut donc pas séparer la musique de la culture à laquelle elle est liée. À cet égard, je peux dire que je peux être beaucoup plus direct dans un contexte canadien. En revanche, dans le cas du Japon, je dois être très politique, pour ainsi dire. Au Japon, parfois, je ne comprends pas si une interaction est négative ou non. Si j’ai ce sentiment, cela signifie qu’elle est probablement négative. Mais au Canada, je saurais certainement si elle est positive ou négative. Une dernière chose à propos des manières : lorsque je travaille avec des clients, je suis très libre quant au ton de communication. Mais au Japon, je dois suivre des codes sociaux spécifiques et faire une danse sociale.

RAC : Selon vous, quelles sont les qualités les plus importantes d’un.e bon.ne ingénieur.e du son ?

Emre :  La liste est longue. L’essentiel serait d’être agréable à travailler et de fournir des résultats supérieurs aussi vite que possible – agréable, rapide et avec des normes élevées. Le reste dépend des besoins du client ou du projet. Je peux dire que s’adapter à différentes personnalités grâce à des stratégies de communication durables est la compétence transversale la plus utile à long terme. Je peux en dire une pour les compétences techniques: écouter régulièrement tous les types de sons et de musique de manière disciplinée et critique aussi bien qu’en tant que consommateur ou consommatrice.

RAC : Qu’est-ce qui vous a amené à étudier à RAC à Montréal et quels ont été les éléments les plus significatifs de vos études ?

Emre : Je pense que c’était un type de formation polyvalente et parfaite pour quelqu’un qui veut faire quelque chose en lien avec le son et la musique mais qui ne sait pas exactement quoi et comment. RAC m’a permis d’explorer tous les aspects de ces thèmes. Mais le plus important, c’est que l’expérience m’a aidé à polir les angles de ma personnalité puisque j’étais dans l’industrie au premier jour. C’était la partie la plus difficile ! Je travaille encore sur ma personnalité tous les jours. Enfin, je suis également devenu bien meilleur pour l’écoute critique.

RAC : Après vos études au RAC, vous êtes retourné en Turquie pour vous lancer dans une maîtrise en ingénierie sonore. Qu’est ce qui vous a motivé à continuer vos études à l’université ? Quels éléments vouliez-vous approfondir ?

Emre : Je voulais vraiment poursuivre une carrière dans le domaine du son et de la musique. J’ai donc décidé de retourner dans mon pays natal, la Türkiye. J’ai suivi le programme de maîtrise de l’Université technique d’Istanbul, le principal programme d’ingénierie du son de Türkiye.

Je cherchais à combler les lacunes de mon éducation musicale formelle. Pour réussir ma carrière dans l’enregistrement sonore, j’avais besoin d’aborder la musique sous d’autres angles. Ma maîtrise m’a aidé à saisir la musique de diverses manières. Mis à part l’enregistrement sonore et la technologie musicale, j’ai étudié la théorie musicale et l’analyse des structures, la psychologie, les neurosciences de la musique, la musique du monde et même la sémiotique. C’est ce qu’on appelle toutes les activités liées à la musique: « musicking ».

RAC : Quel est l’artiste/le groupe avec lequel vous avez le plus aimé travailler ?

Emre : Chaque projet est amusant à travailler et ils ont leurs propres défis et bénéfices. Je ne peux pas les séparer. Mon genre préféré est la musique classique puisque j’ai réalisé mon projet de fin d’études de maîtrise sur la production classique. J’aime littéralement être sur la même page que l’interprète pendant la lecture des partitions. Nous parlons la même langue. Ce sont mes moments préférés.

Depuis que j’ai commencé à enregistrer des concerts au Temple Inryoji, à Okayama, j’aime beaucoup enregistrer ce genre de performance. Ici, j’ai eu le privilège d’enregistrer de nombreux artistes à succès, comme Kirinji, Yuko Ando, Izawa Ichiyo, Ichiko Aoba, Akira Sakata, Jim O’Rourke, Eiko Ishibashi, Carol Welsman & Nicki Parrott et bien d’autres.

RAC : Avez-vous des projets personnels ? Pouvez-vous nous en parler ? 

Emre : Oui ! J’écris des articles de blog sur les aspects techniques et interpersonnels de l’enregistrement sonore. J’ai récemment écrit sur la création du modèle ultime de mixage musical pour Pro Tools ou sur un atelier de Tonmeister auquel j’ai participé au Japon. Mon prochain article plus technique portera sur ma visite à l’université des arts de Tokyo pour y mener des études sur leurs installations audio immersives 27.2 avec le Dr Will Howie en mars 2023. J’essaie également d’écrire sur les aspects « humains » de l’enregistrement sonore, ce que les chercheurs ignorent généralement. La suite de mon autre billet portera sur « Les choses que j’aurais aimé savoir quand je commençais ma carrière d’ingénieur du son ». J’essaie de créer du contenu pour mes collègues ingénieurs.es du son ou les praticiens.nnes de la musique.

RAC : Merci pour votre temps Emre ! Qu’est ce qui se prépare musicalement pour vous en 2023 ? Pouvez-vous nous parler de vos projets ou études à venir ?

Emre : Deux acteurs avec lesquels j’ai travaillé à toutes les étapes de la production (enregistrement, mixage et mastering) sortent bientôt leur matériel: Nedim Güvenç, un auteur-compositeur-interprète turc, va sortir son premier album et Big Foot, un groupe multiculturel de free-jazz que j’ai enregistré au Temple Inryoji. Big Foot est composé d’Akira Sakata (Japon), Yong Yandsen (Chine), Takashi Seo (Japon) et Darren Moore (Australie).

Je vais continuer à enregistrer des concerts au Temple Inryoji au Japon. Il y aura trois concerts en février de cette année. Ensuite, je retournerai en Turquie pour quelques mois puisque j’ai l’intention de produire, pour Dolby Atmos, un album de Liszt avec un ami pianiste à Istanbul.

Dans un avenir proche, je veux faire un doctorat en musique sur la production de musique classique. Je rêve d’enregistrer un orchestre dans une salle avec une bonne qualité acoustique.

Peut-être que je le réaliserai plus tôt que je ne le pense…

Texte écrit par Caroline Boivin

Illustration par Yihong Guo