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Le dictionnaire de Cambridge définit la rage comme une colère extrême ou violente. Pour les créateurs de musique, il peut être très difficile d’exprimer la rage dans leur travail, car il ne s’agit pas seulement de crier ou de faire du bruit (bien que cela en fasse partie). Pour donner un aperçu de la façon dont la rage peut être exprimée en musique, examinons ce qu’est la rage, puis les techniques qui peuvent être employées pour la recréer.

La musique et la rage

D’une manière générale, les genres musicaux associés à la rage sont le metal et le punk rock. Le punk est issu d’une génération de jeunes en colère contre le statu quo, qui ont ajouté des tonalités mineures et des accords puissants aux chansons pop, des voix agressives, une production dépouillée et des amplificateurs à fond. Un bon exemple de cela est Nervous Breakdown de Black Flag.

La chanson partage le même nom et la même structure de base que la chanson des années 1950 d’Eddie Cochran, mais elle n’y ressemble en rien. Fini la progression mélodique des accords et la guitare jangly, qui sont remplacés par des power chords agressifs et un amplificateur sauvagement distordu. Tout cela contribue au sentiment de rage que l’on ressent immédiatement à l’écoute de cette chanson.

Le metal est un autre excellent exemple de style musical qui, par sa nature même, cherche à induire des sentiments de rage. Le metal est un genre très vaste, mais il se définit essentiellement par des guitares agressives, une batterie puissante et des voix démesurées.

Comment faire :

1 : Une dynamique forte

L’utilisation de la dynamique forte et des notes accentuées crée un flux constant d’intensité sonore tout au long d’un morceau. Les dynamiques fortes provoquent une augmentation de l’intensité et de la puissance dans une chanson qui stimule la libération d’adrénaline chez l’auditeur, faisant écho à notre réaction naturelle de combat ou de fuite.

Il existe plusieurs façons d’obtenir une dynamique forte en studio. Faire passer la guitare, la basse et/ou les voix – ou tout autre instrument que vous utilisez – par une pédale de distorsion ou un plug-in est une méthode très simple. Une autre méthode consiste à ajouter de la compression, c’est-à-dire à réduire les transitoires les plus forts et à augmenter les transitoires les plus faibles, ce qui augmente le volume global. Dans le contexte d’un studio d’enregistrement, un moyen éprouvé d’augmenter la dynamique consiste à « empiler » les pistes, c’est-à-dire à enregistrer le/la musicien.ne qui joue exactement le même riff ou la même partie de batterie à plusieurs reprises, puis à superposer les pistes dans le mixage.

Voici un exemple de I Prevail :

Une dynamique puissante évoque une importante gamme d’émotions, il faut donc comprendre quel est l’effet exact que vous cherchez à obtenir. Par exemple, le volume d’une chanson qui passe de très doux à très fort est dynamique, mais il est plus susceptible de produire de la terreur que de la rage. De même, un volume sonore prolongé est plus susceptible d’engendrer de l’excitation que de la rage, puisqu’il fait continuellement monter l’adrénaline chez l’auditeur.ice. Pour différencier l’excitation de la rage, la composition aura besoin d’un autre élément: la dissonance harmonique.

2 : La dissonance harmonique

La dissonance harmonique est une technique utilisée pour créer des émotions négatives comme la terreur, la tristesse et la rage. Certains intervalles et gammes apparaissent plus ou moins dissonants selon l’auditeur.ice.

La guitare de Stranded de Gojira en est un bon exemple :

La raison pour laquelle la dissonance provoque la colère est due au rapport acoustique entre la longueur d’onde de deux notes différentes. Par exemple, les longueurs d’onde d’un intervalle de 5ème parfaite contiennent un rapport de 2/3, ce qui est assez facile à traiter pour le cerveau humain, tandis qu’un intervalle de seconde mineure contient un rapport de 16:15, ce qui est beaucoup plus difficile à conceptualiser. Tout intervalle comportant des notes étroitement liées crée un effet appelé « battement », où le léger chevauchement des pics d’amplitude entre les deux notes provoque une pulsation dans le son. Un exemple courant de ce phénomène est lorsque les instruments à cordes s’accordent. Comment cela vous semble-t-il ?

Le déplaisir créé par la dissonance amène l’auditeur.ice à se sentir déstabilisé.e, désemparé.e et sans direction, ce qui peut évoquer un aspect important de la colère : la perception d’une menace.

Une autre technique puissante est le désaccordage, soit par le biais d’un plugin, soit par l’accordage physique de l’instrument. Le down tuning est une technique souvent utilisée dans le metal où les instruments sont accordés à des tonalités incroyablement basses, ce qui déstabilise encore plus la composition.

Si la dissonance est essentielle pour intégrer la rage dans la musique, elle doit être contrebalancée par une autre technique : le dynamisme.

3 : Entraînement vers l’avant

Une fois que tous les éléments sonores sont en place, il est important d’insérer un contrepoids dans la structure. Il s’agit de faire des pauses dans la dissonance. C’est ce que fait Forward Drive and Release (avance et libération), où la chanson passe de la dissonance à la racine de la tonalité afin de créer un sentiment de résolution. L’effet est puissant : il permet une nouvelle libération d’adrénaline après être revenu puis reparti de la tonique/racine.

L’un des meilleurs exemples d’une chanson qui équilibre dissonance harmonique et résolution est Smells Like Teen Spirit de Nirvana. Cette chanson est une montagne russe d’émotions, commençant par des chants mélodiques sur une guitare douce, puis passant à des cris sur une batterie démesurée et une guitare distordue. Chaque fois que la chanson revient à la racine de la tonalité, elle permet à l’auditeur.ice de récupérer ses émotions, pour ensuite repartir en dissonance et sombrer dans la rage.

L’importance de la résolution

La dissonance harmonique sans résolution produit souvent une musique atonale où l’auditeur.ice n’entend que du bruit, ce qui déclenche la désorientation et un état de transe plutôt que la rage. Un bon exemple de ce phénomène peut être entendu ci-dessous.

Alors, montez le son, criez fort, avancez, mais n’oubliez pas de baisser le son de temps en temps, pour un maximum de rage !

Illustration par Yihong Guo