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Qu’est-ce qui résonne dans vos oreilles lorsqu’on parle de musique improvisée et expérimentale? Du jazz? Des trames conceptuelles? Le dernier album d’André 3000? Toutes ces réponses, et bien plus, selon Raphaël Foisy-Couture, musicien et organisateur qui œuvre dans la scène. Sur son invitation, on se plonge dans un univers de liberté et de possibilités d’expériences sonores et humaines. 

RAC : Qu’est-ce qu’on désigne par musique improvisée et expérimentale?

Raphaël : Ce sont des termes vastes. Quand on parle de musique improvisée, certains vont par exemple penser du jazz, à de l’improvisation plus européenne idiomatique inspirée de la musique contemporaine, ou à une pratique qui utilise l’improvisation comme manière de faire de la musique. C’est la même chose avec une musique expérimentale, il peut y avoir autant un groupe de noise-rock, que des gens qui font de la musique en frottant des plumes sur des cactus. 

Ça n’a pas besoin d’être constamment fixe, et c’est ce que j’aime. Ce sont des musiques qui bougent, qui ont une tension, il y a du mouvement. Ces musiques dépendent beaucoup des gens qui la jouent, plus que du format, de la forme, de l’esthétique ou de de la composition. Dans ma communauté, la plupart de la musique est improvisée, mais ce n’est pas que de la musique d’improvisation libre – les gens viennent de plein de pratiques. En ce sens, c’est une démarche expérimentale car on ne sait pas si ça va fonctionner! Il y a une rencontre de différentes possibilités, on ne connaît pas le résultat! On peut avoir des orchestrations surprenantes, de la musique très statique ou très bruyante, de la beauté lyrique incroyable, ou quelque chose qui reste près du jazz conventionnel. 


RAC : Outre ton rôle de musicien, quels sont les autres aspects de ton travail? 

Raphaël : Je fais beaucoup de travail organisationnel et communautaire dans le domaine des musiques improvisées et expérimentales. J’ai aussi une petite étiquette de disques, Small Scale Music, qui existe depuis 2013. On y fait toutes sortes de petites parutions – en cassette, en version digitale, en CD, des zines. À travers ce label, je fais aussi de l’organisation de spectacles et de tournées pour des artistes de l’extérieur. 

Je suis membre du collectif de la série Mardi Spaghetti, qui organise des concerts de musique expérimentale et improvisée depuis 15 ans. On tient au minimum deux concerts par mois, avec des programmations différentes à chaque fois. C’est une série qui a toujours été entièrement bénévole, et entièrement dirigée par des musiciens de la scène. Ce qui est intéressant avec cette série, c’est que ce sont autant des gens qui font leur premier concert, que d’autres qui jouent depuis des décennies, ou qui viennent de partout dans le monde et qui jouent ensemble. Ça crée ces rencontres. 

RAC : Comment est venu cet intérêt pour ces musiques et la scène?

Raphaël : J’ai toujours été un passionné de musique, tout autant pour l’aspect humain que social – on finit toujours par rencontrer des gens. Quand j’étais plus jeune, j’allais beaucoup dans les shows punks et les concerts locaux. Déjà, à l’époque, j’étais intéressé par l’aspect organisationnel, la promotion, l’affichage et les dynamiques de scènes. Surtout, c’est de la musique qui me paraissait accessible, où je pouvais me présenter. Ce sont des concerts dans de petites salles, qui sont peu chers, et qui offrent la possibilité d’aller voir quelque chose sans trop savoir c’est quoi. 

Avec la musique expérimentale, il y a une ouverture aux différentes sortes de démarches. Ce sont des spectacles où l’échelle est petite, on peut rencontrer rapidement des musiciens. Il y a une communauté, et c’est est ce qui m’a séduit. Ces musiques rejoignent également une esthétique parfois punk. L’organisation DIY permet d’arriver à des choses qui challengent les conventions, qui viennent remettre en question d’une façon esthétique, mais d’une façon sociale aussi. 

Je n’ai pas d’études en musique, je ne pensais pas en soi faire de la musique dans la vie. En écoutant différentes choses est venue l’envie de faire pour le plaisir, de faire des sons. C’est une musique que j’ai appris à écouter, à aimer, à être constamment un peu surpris. Adolescent, la première fois que j’ai entendu un projet différent – Bitches Brew de Miles Davis – j’avais détesté ça à un point tel que c’était viscéral! Je ne comprenais pas, j’étais en colère de ne pas être capable de comprendre. Mais, en même temps, c’était comme si je n’étais pas capable de ne pas écouter ce disque. Finalement, de façon subversive, je me suis mis à aimer l’album plus que les autres que j’écoutais, parce qu’il fallait que je fasse un effort. J’avais une relation à cette œuvre au niveau esthétique et émotif. À partir de ce moment, ça m’a ouvert la porte à découvrir plein de musiques. 

RAC : Justement, est-ce qu’il s’agit de musiques qui demandent un effort d’écoute?

Raphaël : Il y a tellement de propositions différentes. Beaucoup de ces musiques demandent un effort. Beaucoup tentent de nouvelles approches. Des fois, fondamentalement, ce n’est pas de la musique qui est agréable à écouter. Le porte est ouverte aux recherches, à l’erreur, à l’échec. Au niveau esthétique, ça peut être plus difficile, par exemple si on entend quelqu’un cogner sur une batterie avec une perceuse, des gens qui font des bruits d’animaux qui meurent ou de vaisseaux spatiaux, ou quelqu’un qui met de l’eau dans son saxophone. Ça peut être très comique aussi. 

Ce sont des musiques qui sont plus immédiates. L’auditeur assiste au processus créatif, à la réflexion de la personne, à des rencontres. Tout cela se passe en même temps, sous nos yeux. C’est de l’art vivant. On peut y participer. Il y a un challenge au niveau esthétique, mais je pense qu’au niveau humain, c’est une des musiques les plus accessibles. Ça ne demande pas un gros investissement, et les gens sont empreints de bienveillance, de conscience sociale. 

RAC : Comment s’y prendre pour bien capter ces musiques? 

Raphaël : Au niveau de la captation et de la documentation, c’est fait de plein de façons. C’est parfois très DIY, avec des enregistrement de type bootleg, ou des enregistrements avec des zoom ou des enregistrements portatifs. J’ai enregistré des disques dans des studios de répétitions, en tournée, en studio d’enregistrement, dans des salles de concert vide, dans des chambres de maison, à l’extérieur. Si on a un endroit, une enregistreuse et du temps, on peut tout faire. On peut également faire des prises de sons dans un studio d’enregistrement traditionnel. Cependant, ce ne sont pas tous les ingénieurs qui sont capables de travailler avec ces musiciens, car le résultat n’est jamais le même. On ne sait pas nous-même ce qu’on va faire! 

De nos jours, alors que tout le monde met de la musique en ligne, il y a de moins en moins de standards sur comment les choses devraient sonner. Les conventions dictant comment devrait sonner un disque s’ouvrent de plus en plus. On est constamment mis devant des nouvelles façon de produire. Le lo-fi revient beaucoup, notamment dans le hip-hop, comme une esthétique choisie, et non plus imposée à cause du manque de ressources ou de moyens techniques ou financiers.

Par exemple l’album d’André 3000 sonne comme une cassette expérimentale parue sur une étiquette de disque de musique ambiant. Ce n’est pas un album hi-fi ou haute fidélité. Ça me rappelle plein d’expériences similaires ou des albums d’amis imprimés à 100 exemplaires. Mais là, il s’agit d’un album qui joue dans les cafés. Des gens qui n’écoutent jamais ce genre de musique la découvrent. Les auditeurs ne sont pas choqués qu’on entende du grain sur l’album, ou qu’il y est plein d’imperfections dans le son. Ça démontre également comment les approches expérimentales poussent l’innovation technique, même dans le mainstream, grâce au travail de gens qui essaie des expériences sonores moins conventionnelles. Les producteurs de hip-hop sont un bon exemple, il y en qui travaillent de chez eux et font des choses hallucinantes. Il n’y plus tellement de différence entre ça et de la musique acousmatique ou électro-acoustique. Il y a tellement de recoupements que la musique peut sonner de toutes les façons possibles. 

Écrit par Christelle Saint-Julien
Illustration par Holly Li