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En utilisant la musique rap comme un moyen de vaincre ses démons et de s’élever, Caijo, ancien élève de RAC, est en train de découvrir son propre pouvoir. Dans sa deuxième mixtape, 2.DOPE, le rappeur explore ses pensées intérieures, en superposant une intensité émotionnelle entre les mesures.

Décrivez le son de Caijo ? 

Trop d’la balle

Quel est votre signe astrologique ?

Gémeaux

La chanson la plus jouée sur vos playlists en ce moment ?

Spotify déclare que c’est « Headshots » d’Isaiah Rashad, Soundcloud déclare que c’est « Power » de Young Thug !

Meilleure façon d’entrer dans la « zone » ?

Avoir mes factures payées

Vos paroles de chanson favorites ?

C’est une question difficile, mais je dirai : « Lock my body / can’t trap my mind », par Jay-Z dans « Can I Live »

Qu’il s’inspire des innovateurs du hip-hop ou qu’il soit absorbé par le groove des funk-rockers modernes, l’art musical de Caijo est marqué par la recherche de la réinvention. Né dans la capitale du Zimbabwe, ce jeune créatif – aussi connu sous le nom de Dylan Johnson – trouve une motivation sans limites dans la vérité indéniable que personne ne pourra jamais mener votre propre style aussi bien que vous. En prenant la plume pour déballer ses épreuves, Caijo alimente les flammes de l’originalité expressive pour une nouvelle génération.

« Outro (prayer) » de Caijo

Sur sa deuxième mixtape, 2.DOPE, Caijo abandonne son image assuré pour révéler les nuances plus sombres de son introspection. Avec chaque chanson, il présente un mélange calculé de vulnérabilité personnelle et de confiance puissante. Mélangeant sa cadence fluide avec un lyrisme candide et une production sombre, le rappeur met à nu son histoire sans compromettre la passion. Il s’est entretenu avec nous au début de la nouvelle année pour retracer les étapes de son parcours fascinant et décortiquer sa ténacité créative.

RAC : Qui est Caijo ? Parlez-nous un peu des premières années qui vous ont influencé en tant que rappeur.

Caijo : Je suis né au Zimbabwe de parents interraciaux, ce qui a fait de moi un paria en quelque sorte dès le départ. La famille de mon père l’a renié pour m’avoir donné son nom de famille ; j’étais la seule personne mixte que je connaissais jusqu’à la naissance de mon frère, cinq ans après moi. On pourrait dire que je suis la pierre que le bâtisseur a refusée.

Il n’a pas été facile de grandir pendant l’une des plus grandes crises économiques de l’histoire moderne, surtout lorsque mon père est tombé très malade. Son alcoolisme a fait des ravages, mais mes parents ont toujours travaillé dur pour assurer notre sécurité. Quand j’avais 15 ans, mon père est décédé et il est devenu difficile pour ma mère de subvenir seule aux besoins de notre famille. Quand j’étais enfant, j’étais espiègle et je me suis attiré quelques ennuis. J’ai commencé à fumer du cannabis et j’ai eu du mal à envisager un avenir avec des études supérieures. J’ai donc abandonné le lycée à 17 ans et j’ai trouvé un emploi pour aider ma mère à offrir une meilleure vie à mon frère.

J’ai découvert mon amour pour la musique rap à un très jeune âge ; à l’époque, j’avais l’impression qu’elle s’adressait aux personnes exclues par la société. À peu près au moment où j’ai commencé à travailler, j’ai commencé à faire mes propres chansons. Je ne l’ai pas pris au sérieux pendant cette période. Pour moi, l’enregistrement n’était qu’une forme d’évasion, et le studio était un endroit facile à fumer pour moi sans aucune pression. Malgré cette créativité précoce, je n’ai jamais pensé que la musique serait rentable pour moi. Mes priorités étaient donc mon travail, mes autres formes de travail et diverses formes d’évasion.

Mon frère m’a toujours admiré, alors il a imité la plupart de ce qu’il a vu de moi – bien et mal. Lorsque j’ai eu l’occasion de changer ma vie en déménageant au Canada, je l’ai saisie à deux mains. Après trois ans ici, j’ai réalisé que mon frère vivait la vie que j’avais laissée derrière moi. Parce qu’il était plus engagé dans la musique que je ne l’ai jamais été, j’ai décidé de me remettre à mon art pour l’inciter à vouloir mieux faire.

J’ai fait un acte de foi pour rejoindre RAC à l’automne 2020. Au moment où je me préparais à quitter Ottawa, j’ai appris la nouvelle du décès de ma mère. J’ai dû faire des préparations soudaines pour rentrer chez moi, au milieu du COVID-19. J’ai commencé mon premier semestre à distance, avant de finalement déménager à Toronto en octobre 2020. J’ai ensuite sorti ma première mixtape solo, DOPE FOR YOUR EARS, en avril 2021, et je me prépare maintenant pour ma deuxième mixtape, 2.DOPE.

RAC : Parlons de vos inspirations musicales. Comment ont-elles évolué au fil du temps, et qu’aimez-vous chez ces créateurs ?

Caijo : Ma mère et mon père écoutaient toujours de la musique quand j’étais enfant. Ma mère aimait tout de Motown: de Gladys Knight and the Pips à Smokey Robinson, Berry Gordy Jr, The Supremes et Tammi Terrell, pour n’en citer que quelques-uns. Elle aimait aussi Whitney Houston, et un peu d’Air Supply et Dolly Parton. Elle aimait les chansons sur lesquelles on pouvait groover, et je les revisite encore quand elle me manque. Mon père m’a donné un goût plus éclectique, puisqu’il était un grand amateur de rock & roll des années 1960 et 1970 et de compositeurs classiques. On écoutait de tout, de Zeppelin et Hendrix à Brahms et Vivaldi. J’ai été nommé d’après Bob Dylan, on peut donc dire que la musique a toujours été mon destin. Ensuite, mes oncles ont joué du rap de la côte est comme DMX, Nas et Wu Tang Clan, mais je n’étais pas vraiment intéressé par le rap à l’époque. J’ai presque honte de l’admettre, mais j’étais plutôt fan de boys bands comme *NSYNC et les Backstreet Boys.

C’était jusqu’à ce que je trouve une copie pirate de The Marshall Mathers LP chez mon ami. J’étais abasourdi par le génie des jeux de mots d’Eminem et la cadence de ses raps. À partir de là, le hip-hop s’est imposé pendant quelques années, ce que mes parents n’ont pas apprécié. Ce n’est qu’après le lycée (où j’ai écouté Lil Wayne presque exclusivement pendant deux ans) que j’ai commencé à élargir mes propres playlists, avec une phase énorme de Red Hot Chili Peppers, Kasabian et Muse.

Maintenant, j’écoute de tout. Mes chansons préférées ont un bon lyrisme, une bonne structure, et un groove. Mon album préféré de l’année dernière est The House Is Burning d’Isaiah Rashad. Je trouve qu’il est tellement honnête dans sa musique. Young Thug fait partie de mon « top 5 » pour son génie, et Paolo Nutini y figure aussi.

« 9000 degrees (intro) » de Caijo

RAC : Vous avez précédemment indiqué que la musique rap « s’adressait aux personnes exclues par la société ». Pourriez-vous nous en dire plus sur votre lien avec le rap ? Comment votre propre son et votre histoire élèvent-ils le genre ?

Caijo : La musique rap est une façon d’occuper un espace dans une société qui veut que vous fassiez partie du statu quo ou que vous le rejetiez à un degré acceptable. Ceux qui sont considérés comme des criminels et des toxicomanes peuvent trouver une sorte d’absolution de leur passé et devenir des membres actifs de la communauté. J’ai eu des problèmes dans ma propre vie et la musique rap me permet d’exorciser certains des démons enfouis au plus profond de mon âme. C’est un moyen de traiter certains des traumatismes de mon passé et de m’exprimer d’une manière que je crains que mes proches ne comprennent pas dans le contexte d’une conversation « normale ».

Je me suis réinventé, alors je veux que ma musique soit la preuve que les gens ont le droit d’être eux-mêmes, quoi qu’en pensent les étrangers. On m’a dit que je m’habille dans une manière « gay » (ce que je ne comprends pas) et on m’a dit que j’étais « trop gentil pour faire la musique que je fais », mais quand on a vu ce que j’ai vu, on sait qu’il n’y a rien de bon à être méchant avec les gens. Je ne vais pas me changer pour m’adapter à l’image que les autres pensent que je dois défendre, je vais juste faire ce qui me semble juste au moment présent. Il y a quelques semaines, quelqu’un m’a demandé « quelle est ma marque personnelle » ; j’ai pris une minute pour réfléchir, et j’ai répondu « anti-marque ». Les êtres humains sont plus divers qu’une déclaration de mission, et nos valeurs fondamentales devraient pouvoir évoluer. Je suis simplement réelle et je reste fidèle à moi-même, et c’est ainsi que je vais changer la culture, puisque ce que je suis évoluera au fur et à mesure que je grandirai.

RAC : Vous décrivez le début de votre carrière musicale comme un « acte de foi ». Pour de nombreux artistes, prendre la décision de poursuivre leur art est un processus de transformation. Quels conseils donneriez-vous aux créateurs émergents qui ne sont pas sûrs du chemin à parcourir ?

Caijo : À ces créatifs, je dirais : augmentez votre argent, soyez plus vous-même, et restez hydraté. Ce métier n’est ni gratuit ni bon marché. Ne prétendez pas être quelqu’un que vous n’êtes pas, et veillez à prendre soin de vous. Dans l’outro de 2.DOPE, j’ai une phrase qui dit « Why they label me an artist with parentheses around it / Want me in a box, type with fences all around it ». Ça montre bien que les gens projettent toujours leurs propres limites sur vous. Si je ne suis pas en prison et que je n’ai pas de casier judiciaire, est-ce que ça veut dire que je ne peux pas faire de la musique pour les gens de la rue ? Comme le dit Rick Ross, « Je suis un plus grand patron pour les choses que je ne dis pas, que pour les choses que je dis » …

RAC : Votre dernier projet, 2.DOPE, aborde des sujets émotionnels tels que la perte de proches et la toxicomanie pour peindre une image ultime de la résilience. Dites-nous en plus sur l’univers de 2.DOPE. Qu’est-ce qui a été unique dans la création de ce projet ?

Caijo : 2.DOPE m’offre une chance unique de raconter davantage ma propre histoire et d’être un peu plus personnel avec mon public. Pour le symboliser, j’ai choisi le visage de l’éléphant pour la couverture, puisque c’est le totem de ma famille. Mon projet précédent, DOPE FOR YOUR EARS, porte davantage sur le monde qui m’entoure, tandis que 2.DOPE porte davantage sur le monde intérieur.

Dès le départ, avec « 500 », une des premières lignes est « I put my own f***** father in an ambulance ». C’est tout à fait littéral : la nuit précédant le décès de mon père, je me souviens que l’ambulance est passée devant notre maison à 3 heures du matin et que j’ai dû courir pour rappeler les ambulanciers. Les ambulanciers sont revenus, et ils étaient un grand homme et une petite femme. Mon père, étant lui-même assez costaud, était trop lourd pour que la femme puisse le mettre sur le brancard, alors j’ai dû les aider à le faire monter.

Je pense que la chose la plus unique à propos de 2.DOPE serait le fait qu’aucune des chansons n’a été préméditée. Chaque enregistrement a été fait à partir de zéro avec mon producteur, Laurent. Il a vraiment poussé ma créativité avec cette mixtape. Nous avons expérimenté davantage avec Autotune, les réverbérations et les effets de manière fluide, sans prêter trop d’attention à ce qui est à la mode en ce moment. Nous sommes aussi revenus et avons refait certaines chansons. Auparavant, avec DFYE, l’enregistrement de chaque chanson était considéré comme complet en une seule session, mais ici nous avons retravaillé certaines choses. Je devais juste m’assurer que chaque enregistrement était parfait.

RAC : 2.DOPE fait suite à votre premier album solo, DOPE FOR YOUR EARS, qui est sorti en avril dernier. Entre ces projets, vous avez aussi terminé vos études à RAC et surmonté des épreuves personnelles significatives. Comment vous êtes-vous motivé à créer malgré les défis de la vie ?

Caijo: La pression fait les diamants, ma belle. La vie comporte de toute façon des défis, alors pourquoi se retirer ? Pour moi, créer est exactement ce qui me motive. C’est une chance d’être brut avec mes pensées et mes sentiments. Je ne suis plus le genre de personne à se mettre en colère, mais au micro, je peux me lâcher. Je sais que les gens que j’aime et qui ont peut-être moins de chance que moi apprécieront d’entendre de la musique bien produite, et si cette musique peut contenir mon essence, alors elle pourrait même donner à certains de mes copains une chance de sourire lorsqu’ils la mettront dans leur voiture, ou dans leurs écouteurs, ou partout où ils pourront l’écouter. Certains membres de mon ancienne équipe qui se sont égarés dans la vie m’appelleront, et je pourrai sentir à quel point ils ont apprécié la dernière mixtape, c’est donc ce que je recherche aujourd’hui.

RAC : Vous avez mentionné la relation spéciale que vous partagez avec votre frère. En suivant votre métier, vous avez aussi joué le rôle de son mentor. Comment ce lien plus profond avec votre frère a-t-il inspiré votre propre développement artistique ?

Caijo : À notre époque, la plupart des rappeurs essaient de devenir plus populaires, d’avoir plus d’auditeurs, plus de streams et plus d’adeptes. À tel point qu’ils finissent par faire des choses pour des gens qu’ils ne connaissent même pas, ou pire, par payer des machines pour faire grimper les statistiques. J’essaie d’investir de l’énergie dans des personnes avec lesquelles je peux me lier, afin de pouvoir motiver les gens. Être le protecteur de mon frère signifie que je peux voir de première main ce que mon art lui apporte. Je n’ai pas besoin de chercher une validation ; j’ai une boussole solide pour savoir quelle direction prendre, parce que je peux savoir quel type d’impact j’ai sur les gens. Pour moi, en tant qu’artiste, votre héritage sera basé sur votre impact, et non sur les streams ou les adeptes des médias sociaux. Cependant, être un mentor n’est pas facile. Surtout quand j’essaie de me maintenir à un niveau élevé, ce qui finit par être révélateur, puisqu’il ressent une pression de ma part. J’essaie de le faire sortir de la musique à nouveau.

RAC : Parlez-nous de votre formation musicale à RAC. Quels sont les points les plus importants que vous avez retenus de vos études ?

Caijo : Un des principes bouddhistes dit que « le plus grand obstacle à la sagesse n’est pas l’ignorance, mais plutôt l’illusion de la connaissance » ; tout au long de ma formation, on m’a rappelé qu’il fallait toujours rester modeste, parce qu’il y a toujours plus à apprendre. Je pensais avoir une bonne compréhension de l’enregistrement, alors je m’attendais à apprendre d’autres aspects de la musique : des choses comme le côté affaires de l’industrie, la musicalité, la pré et postproduction. J’ai effectivement appris ces choses, mais mon appréciation de toutes les différentes étapes du processus de production, étapes que je pensais comprendre, a été au moins décuplée. Enfin, j’ai appris à toujours donner le meilleur de moi-même, puisqu’on ne sait jamais quelle opportunité se présente à nous – si on s’y prépare.

RAC : Quels sont vos objectifs en tant que musicien ? Quel genre d’impact espérez-vous avoir dans l’industrie musicale ?

Caijo : Je suppose que c’est la partie où je dis « dîner avec Hov ». Je veux faire de grands concerts, des tournées dans des arènes où j’emmènerai d’autres artistes africains. Je veux construire des studios dans le monde entier pour donner aux gens la possibilité de faire des disques dignes de la radio, puisque j’ai toujours eu du mal à le faire au Zimbabwe. Les studios avaient toujours des micros de mauvaise qualité, un traitement acoustique médiocre, des ingénieurs non professionnels, et c’est un obstacle pour tant d’artistes – l’accès.

C’est difficile de parler de l’impact, parce que je n’en suis pas encore là. Il y a encore beaucoup de travail à faire avant d’arriver à ce que j’espère être avec ma musique, et où je veux l’emmener, mais j’espère élever le genre. C’est mon but ultime en tant que musicien : faire quelque chose que je n’ai jamais vu faire auparavant. Si je peux inspirer les gens et laisser une feuille de route après mon passage, alors à mes yeux, j’ai réussi.

RAC : Merci pour votre temps, Caijo ! Que pouvons-nous attendre de toi en 2022 ?

Caijo: Personne ne sait ce que l’avenir nous réserve, mais vous pouvez vous attendre à ce que je sois pur. C’est-à-dire pure avec mes intentions, mes paroles et mon âme. Cette année, je suis ouverte à la collaboration avec d’autres artistes, peut-être à travers les genres. Je veux aussi m’impliquer davantage dans la production, c’est certain. Si Dieu le veut, bien sûr. Merci pour cette opportunité !

Text écrit par Rebecca Judd

Illustration par Yihong Guo