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Bienvenue dans la suite de notre série sur le cerveau et la musique. Explorons ensemble l’origine de la musique et certains processus cognitifs qui impactent nos perceptions musicales. Nous aborderons la mémoire, les émotions, le langage et les vers d’oreilles. Vous serez surpris par les fonctions et l’impact des vestiges de notre cerveau sur notre quotidien musical.

Darwin et la musique : le flirt par excellence

Les oiseaux mâles dansent et chantent des mélodies aux femelles pour capter leur attention et montrer leur forme physique. C’est une technique de flirt qui a fait ses preuves pour plusieurs autres espèces animales pendant la période de reproduction. Darwin associe, dans son livre The Expression of the Emotions in Man and Animals (1872), ce comportement de faire la cour avec des mélodies passionnées à la sélection sexuelle. Un peu plus tard, le philosophe Herbert Spencer affirme que la musique s’est développée à partir de vocalisations provenant d’une vaste gamme d’états émotionnels, comme la joie, le triomphe, la mélancolie, la perte, la rage en plus de l’excitation sexuelle. La musique, la danse et l’art en général sont inconsciemment reliés à l’intelligence, à une sensibilité émotionnelle et une capacité de subvenir aux besoins de la famille. Les émotions fortes générées par cette séduction inconsciente s’illustrent bien dans les spectacles de grands artistes ; cris, pleurs et même évanouissements des fans en délire.

La musique avant le langage?

Quand on compare la musique et le langage, ils ont tous les deux une syntaxe, une organisation et une structure basées sur des règles. L’enveloppe, le rythme, la mélodie, la tonalité sont des éléments qui les unissent. Par contre, leurs fonctions ne sont pas toujours les mêmes; l’une sert à la communication et l’information, tandis que l’autre éveille les sens et provoque des émotions. Bien qu’il reste des recherches à faire pour bien comprendre l’évolution du langage et de la musique, leurs similarités permettent d’exposer la théorie que ces deux habiletés cognitives se sont développées séparément, mais aussi en parallèle. Darwin et ses adeptes ont aussi proposé que la musique et le langage prennent racine dans le même protolanguage

La survie: un mélange d’émotions, de mouvement et de rythme

Les compositeur.rice.s savent très bien comment nous faire ressentir certaines émotions. Ils créent des tensions en changeant la tonalité, le timbre, le contour, le rythme ou le tempo. C’est en transgressant nos attentes qu’ils y parviennent : une chanson sans surprises devient monotone. Avez-vous déjà vécu cette satisfaction lorsque vous anticipez un temps fort ou une résolution dans une chanson et que vous tombez pile dessus? Votre cerveau adore ça aussi! 

La métrique est un aspect important pour créer des émotions: le cerveau peut en extraire le tempo et l’auditeur.rice peut anticiper le prochain temps fort. Le cervelet, ou « petit cerveau », gère tout ce qui toucheau mouvement et à la pulsation rythmique. Quand nous écoutons la musique, il s’active pour suivre le rythme. Il est aussi stimulé par une musique que nous aimons ou qui nous est familière. Connecté à l’amygdale, qui gère les souvenirs émotionnels, le cervelet traite aussi des informations émotionnelles, comme l’ont établi Jeremy Schmahmann et ses pairs.

Ainsi, le rythme, le mouvement et les émotions semblent liés par des bases évolutionnaires. Nos ancêtres  avaient besoin de sentir la peur devant un ours ou le dégoût en mangeant des aliments périmés. Souvent, les émotions les plus intenses nous font réagir physiquement : fuir, se battre, sauter ou retirer sa main de la chaleur. L’émotion motive l’action. Tout est question de survie : il faut réagir vite sans perdre de temps à analyser la situation. Un lien direct entre émotions et action assure une réaction rapide. Nos ancêtres ont légué leurs gènes et nous avons aujourd’hui une liaison neuronale directe entre les émotions – la musique que nous entendons – et le système moteur – l’envie de danser, de bouger et d’être dans l’action. 

De plus, de tous nos systèmes sensoriels, le système auditif est celui qui réagit le plus rapidement à un stimuli. Notre cerveau possède des vestiges de plusieurs voies neuronales secondaires associées au cervelet afin d’augmenter notre capacité à « réagir rapidement – avec émotions et mouvements –  à des sons potentiellement dangereux » selon Daniel. J. Levitin, dans son livre This is your brain on music (2006). Cela permet au cerveau de préserver une certaine capacité auditive même s’il y a un dommage direct au système auditif, expliquant pourquoi le son et la musique provoquent autant de réactions physiologiques et émotionnelles, et pourquoi la musique est si bonne pour le moral.

Les vers d’oreille: le cerveau joue sa propre musique

Les études de Petr Janata ont démontré que les chemins neuronaux pour percevoir et se souvenir d’un événement sont les mêmes. Entre autres, il a mesuré l’activité électrique du cerveau de sujets écoutant de la musique et a constaté qu’il était impossible de savoir s’ils écoutaient réellement la musique ou s’ils l’imaginaient. « Se rappeler » quelque chose pourrait être une recherche des mêmes parcours neuronaux activés pendant la perception. Ce mécanisme pourrait expliquer les phénomènes de vers d’oreille ou earworms; quand un morceau reste pris dans notre tête. Cela s’expliquerait par le fait que le circuit neuronal représentant une chanson, ou une partie de celle-ci, reste pris en mode playback et elle joue sans arrêt. Les vers d’oreille sont rarement des morceaux entiers, mais plutôt des sections de 15 à 30 secondes, comme la plupart des vidéos, pubs et jingles dans les médias aujourd’hui. Ce sont d’ailleurs elles, se basant sur la répétition, qui provoquent le plus de vers d’oreille. 

Pour créer un ver d’oreille, il faut aussi un certain niveau de bizarreté et de trouble. Juste assez pour que l’inconscient veuille comprendre et résoudre ce qu’il perçoit. Victoria Williamsons et ses collègues ont découvert que le cerveau de gens qui écoutait des sections de chansons familières entrecoupées de silence dans une machine IMR, s’activaient encore pendant les silences. Les sujets ont nommé avoir continué d’entendre la chanson pendant le silence. Ce phénomène pourrait être expliqué par le processus de continuation abordé dans la première partie de cette série sur le cerveau et la musique. Le ver d’oreille pourrait être dû à la continuation d’une section musicale déjà entendue, ou  simplement à un morceau qu’on essaie de s’imaginer. Comme le dit si bien Oliver Sacks dans son livre Musicophilia: « Nous parlons d’‘entendre’ une mélodie dans nos têtes, mais cela n’a rien à voir avec le système auditif lui-même (…) L’imagerie musicale, même en l’absence totale de stimulus externe, peut être presque aussi vive que la perception réelle de la musique ».

Continuons à stimuler nos sens et faire pétiller notre cerveau, que ce soit en écoutant ou en imaginant la musique : elle est bien plus qu’un simple son perçu par notre système auditif, c’est une énergie vive qui se diffuse dans notre cerveau et notre corps.

Lectures recommandées :
La musique et le cerveau : les illusions auditives
Comment créer de l’émotion dans la musique : la terreur
J. Levitin, D. This is your brain on music, 2006, Penguin Group.
Sacks, O. Musicophilia: Tales of Music and the Brain, 2007, Borzoi Books.

Écrit par Caroline Boivin
Illustration par Holly Li