« J’ai examiné mes pensées, mon apparence, les expressions que j’utilisais, mes manières et idiosyncrasies, et j’ai trouvé que je ne les aimais pas. Alors je me suis dépouillé, j’ai jeté des choses et je les ai remplacées par une personnalité complètement nouvelle. Quand j’entendais quelqu’un dire quelque chose d’intelligent, je l’utilisais ensuite comme si ça venait de moi. Quand je voyais chez quelqu’un une qualité qui me plaisait, je la prenais. Je le fais encore. Tout le temps. C’est comme une voiture, mec, on remplace les pièces. » – David Bowie, Rolling Stone, 1976
L’artiste aux multiples facettes a adopté cette approche de caméléon tout au long de sa carrière, une habitude qui a fait de lui l’un des musiciens et artistes les plus influents de tous les temps.
Mais David Bowie a-t-il, comme certains le prétendent, vraiment laissé une marque mémorable sur tous les genres musicaux ? Pour le savoir, nous examinons dans cet article la discographie du Starman.
Le folk
Bowie a commencé sa carrière musicale dans une direction plus folklorique. Son premier album éponyme, publié en 1967, contient la chanson d’ouverture « Uncle Arthur », qui a un son d’inspiration folk.
Cependant, c’est le célèbre « Space Oddity » (1969) de Bowie qui semble avoir cimenté sa place dans les livres d’histoire de la musique folk. Bien qu’elle favorise un son prog rock, la chanson comporte une guitare de style folk, et ces accords sont devenus certains des arrangements les plus emblématiques du genre.
Le glam rock
Le personnage le plus reconnaissable de Bowie est sans aucun doute Ziggy Stardust, créé pendant sa période glam rock qui a donné naissance à l’album conceptuel The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders From Mars (1972). L’album, qui raconte l’histoire d’un rockstar extraterrestre venue pour ramener les gens à la positivité partagée par la musique rock ‘n’ roll, est essentiellement un « plan pour la célébrité », qui voit Ziggy incarnant la théâtralité non seulement de Bowie lui-même, mais aussi de toute la scène glam rock.
Malgré la popularité de Ziggy, Bowie décide de retirer le personnage après seulement un an (de 1972 à 1973), partageant ensuite avec le monde une nouvelle création, souvent confondue avec son prédécesseur : Aladdin Sane.
« Je ne voulais pas rester enfermé dans ce personnage de Ziggy toute ma vie », expliquait Bowie dans une autre interview à Rolling Stone. « Je suppose que ce que je faisais sur Aladdin Sane, j’essayais de passer à la prochaine étape – mais en utilisant une imitation assez pâle de Ziggy comme dispositif secondaire. Dans mon esprit, c’était ‘Ziggy va à Washington’ : Ziggy sous l’influence de l’Amérique. » Explorant le désenchantement de l’artiste à l’égard des pièges de la célébrité et de sa nature éphémère, Aladdin Sane a donné un ton globalement plus sombre à cette nouvelle phase.
Bien que Bowie ait exprimé le désir de prendre ses distances par rapport au personnage de Ziggy, sans doute plus innocent, il existe un chevauchement sonore certain entre ses deux personnages. Aladdin Sane (1973) est sorti alors que Bowie était encore très présent dans l’oeil du public en tant que le Starman, mais il a définitivement adopté le glam rock grâce à l’ajout des talents de guitariste de Mick Ronson (Ronson est souvent reconnu comme le plus grand guitariste du glam rock).
L’incursion de Bowie dans le glam rock et le niveau élevé d’art qu’il a apporté au genre lui ont permis de rester dans les mémoires au-delà des spectacles extravagants associés à ce type de musique. La contribution de l’artiste a permis d’établir la crédibilité du glam rock et a inspiré d’innombrables musiciens qui ont suivi ces traces théâtrales (l’exemple de Lady Gaga vient à l’esprit).
Le rock
Bien que Bowie n’ait pas publié de titres qui répondent absolument aux critères du genre, on ne peut nier que l’influence de l’artiste se fait sentir dans toute la musique rock.
Malgré la présence de la guitare acoustique, l’album le plus rock de Bowie, The Man Who Sold the World (1970), marque l’évolution de l’artiste du folk vers un son plus hard rock. Inspiré par Ozzy Osbourne et Alice Cooper, et préfigurant la tendance d’Aladdin Sane à explorer les thèmes du désenchantement, l’œuvre de Bowie se caractérise par des paroles et des performances plus sombres, mais néanmoins théâtraux, qui serviront plus tard à de futurs artistes.
Comme nous l’avons mentionné, bien que Bowie ne se soit pas totalement lancé dans le genre, il a toutefois fait sentir sa présence sur des albums qu’il a produit tels que Raw Power (1973) d’Iggy and The Stooges et l’album de Lou Reed hyper influent, Transformer (1972), en plus de sa collaboration avec les Rolling Stones (en 1985).
Tout cela est sans parler de tous les artistes qui ont plus tard interprété les chansons de Bowie, tels que le grand du grunge, Kurt Cobain, ou le groupe de rock de Seattle Green River, qui a partagé sa propre version de « Queen Bitch ».
Les travaux antérieurs de Bowie laissent également entrevoir des tendances rock, comme le susmentionné « Space Oddity », qui comporte des sons de prog rock indéniables. Ainsi, même s’il n’a pas produit d’album explicitement rock, on ne peut nier que Bowie a fait une impression sur le genre et ses artistes.
La musique électronique
Bowie est incontestablement crédité d’avoir repris les idées de groupes fondateurs comme Kraftwerk et de les avoir portées à la connaissance du grand public. Ce n’est que lorsque Radiohead ont sorti leur album Kid A en 2000 que le genre a suscité autant d’attention de la part du public (Radiohead, d’ailleurs, cite également Bowie comme une influence).
La trilogie berlinoise de l’artiste – trois albums publiés en 1977 et 1979, considérés comme ses projets les plus électroniques – n’est pas passée inaperçue. Vous avez peut-être entendu parler d’une petite chanson intitulée « Heroes » qui est apparue dans plusieurs succès hollywoodiens comme Moulin Rouge et Le monde de Charlie, et qui a également été reprise dans la série télévisée Glee, pour ne citer qu’une (très) brève liste.
Cependant, il est important de noter que la trilogie de Bowie ne se concentre pas exclusivement sur le genre électronique ; au contraire, grâce à son travail avec son collègue musicien Brian Eno sur ces albums, Bowie a fusionné l’électronique et le rock, un autre exemple de l’amour du mélange des genres chez l’artiste. Plus important encore, Bowie a réussi à créer une œuvre qui a été considérée par certains comme existant presque hors du temps, un exploit que peu de disques électroniques peuvent prétendre avoir réalisé.
La musique pop
Quand on parle de musique pop, il est impossible de minimiser l’impact de Bowie sur le genre. L’artiste a sorti Let’s Dance (1983), un album mashup multigenre qui, selon son site web, « devient l’album le plus réussi commercialement de sa carrière, se vendant à quelque 7 millions d’exemplaires dans le monde entier ». La chanson-titre, également appelée « Let’s Dance », est devenue la première et la seule chanson de Bowie à atteindre la première place des palmarès britanniques et américains, et a défini le son de la musique alternative de danse pour les décennies suivantes.
De même, des chansons comme « Queen Bitch », « Andy Warhol » et « Changes » (tous de l’album Hunky Dory de 1971) laisseront également leur empreinte sur les futurs sons de la musique pop indie lo-fi.
Aucun article sur Bowie ne serait complet sans mentionner le mammouth absolu qu’a été sa collaboration avec Queen – un groupe qui aimait également mélanger les genres – qui a donné lieu à ce projet :
Et avons-nous mentionné que le concert de Bowie a été le premier auquel la jeune Madonna a assisté ?
Le rap/hip-hop
S’il est vrai que David Bowie n’a jamais sorti d’album de hip-hop, sa présence se fait néanmoins sentir dans le genre.
La première incursion de Bowie dans le hip-hop s’est faite sous la forme d’une mention de George Clinton du groupe Parliament, dans la chanson « P. Funk (Wants to Get Funked Up) ». Mais il ne s’agissait pas d’un simple « name dropping » pour démontrer son influence ; Clinton (sans surprise) cite le flirt de Bowie avec le monde du funk ( comme dans « Let’s Dance » ) comme source d’inspiration pour l’un de ses plus grands succès, « Give Up the Funk (Tear the Roof Off the Sucker) ». Ce titre s’est avéré être incroyablement significatif pour le groupe, puisqu’il est apparu dans des films, des émissions de télévision et des publicités, et a eu un impact considérable sur le rap – ce qui témoigne de l’étendue de l’influence musicale de Bowie.
Mais ce n’est pas seulement grâce à Parliament que Bowie a pu toucher un tout autre public. L’échantillonnage, l’un des sujets les plus débattus aujourd’hui dans l’industrie, était en fait le véhicule par lequel un tout nouveau public a été introduit à l’artiste.
Pour commencer, « Fame », chanson de l’album Young Americans (1975) de Bowie, a été samplé par une multitude d’artistes, de Ol’ Dirty Bastard (« Dirty Run ») à Dr. Dre (« Fame ») en passant par Jay-Z (« Takeover »).
Les talents de producteur de Bowie ont également été mis à l’honneur dans le rap, lorsque A Tribe Called Quest a samplé le titre « Walk on the Wild Side » de Lou Reed, produit par Bowie, dans leur chanson « Can I Kick It ».
Il est intéressant de noter que le single « Ice Ice Baby » de Vanilla Ice est l’un des exemples les plus reconnaissables d’échantillonnage d’une œuvre de Bowie. Pourtant, le rappeur a nié avec véhémence avoir échantillonné « Under Pressure » (il a depuis reconnu avoir échantillonné la chanson).
Lister tous les artistes et producteurs qui ont samplé Bowie serait une tâche impressionnante, mais il suffit de dire que le monde du hip-hop a adopté l’artiste aussi facilement que ses autres contemporains musicales.
–Dernières notes–
Quelle que soit la façon dont on le regarde, David Bowie a définitivement influencé la musique dans son ensemble. D’innombrables musiciens.ennes et professionnels.elles de l’industrie ont cité au moins une chanson de Bowie qui a façonné leur identité de créateur.ice. « Bowie est si souvent cité comme une influence par les gens, mais c’est presque comme dire que la nourriture est une influence », a écrit St. Vincent, artiste qui aime aussi mélanger les genres, pour NME en 2013. Que l’on soit fan ou non, l’approche intrépide de Bowie à l’égard de ses performances et de son expression artistique en général, ainsi que sa foi inébranlable en sa vision et son talent, ont permis une expression personnelle sans complexe et ont offert quelque chose que tout artiste peut interpréter à sa manière.
Comme l’a dit Bowie, « toutes mes grosses erreurs sont celles que je commets lorsque j’essaie d’anticiper ou de plaire à un public. Mon travail est toujours plus fort lorsque je suis très égoïste à son sujet », une attitude qui a bien servi l’artiste pendant près d’un demi-siècle dans l’industrie musicale.
Texte écrit par Ania Szneps
Illustration par Yihong Guo