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Dans cette série, nous avons examiné l’histoire sinueuse du plagiat musical, des lois confuses sur le droit d’auteur aux cas hautement médiatisés de copieurs prolifiques. Dans la deuxième partie, nous avons exploré comment le sampling a marqué une étape imprévisible mais nécessaire dans l’évolution de la musique et de son histoire de plagiat. Quelles que soient vos réserves sur cette technique, ce qui a suivi a le potentiel d’être encore plus restrictif – et controversé. 

En 2015, un juge fédéral a statué que le hit Blurred Lines de Robin Thicke et Pharrell Williams partageait assez de similarités avec la chanson Got to Give It Up de Marvin Gaye pour que les deux artistes soient obligés de payer la moitié des redevances de la chanson à la succession de Gaye. Ils ont également été condamnés à verser un montant unique de 5,3 millions de dollars (6,67 millions de dollars canadiens) en dommages (et intérêts).

Le vidéoclip de Blurred Lines

Ce qui rend ce cas marquant, et une grande cause d’inquiétude pour une partie de la communauté musicale, est le fait qu’il ne traite pas des règles préétablies concernant le plagiat. Blurred Lines ne copie ni la mélodie ni les paroles de Got to Give It Up, et n’échantillonne rien de Gaye. En fait, Blurred Lines est en tonalité mineure, alors que Got to Give It Up est en tonalité majeure, et les progressions d’accords sont complètement différentes. Néanmoins, l’affaire de plagiat a abouti.  

Thicke et Williams admettent totalement avoir repris le groove et le sentiment de Got to Give It Up, ce qui n’était pas une cause de problème juridique jusqu’à là. Cependant, c’est exactement ce que la succession de Gaye contestait : le « feeling » de la chanson. Bien sûr, les deux chansons se ressemblent, mais l’idée que des morceaux qui ont une « vibe » comparable puissent être contestées légalement pourrait avoir d’énormes conséquences pour l’industrie de la musique entière. C’est particulièrement vrai lorsqu’on considère toute la musique existante dérivée d’enregistrements du passé.

La chanson Got To Give It Up de Marvin Gaye

Lors d’une entrevue entre Williams et le légendaire producteur Rick Rubin, Williams a exprimé sa frustration concernant le verdict. « Ça m’a blessé parce que je ne prendrais jamais rien de personne », a déclaré Williams. Lorsque Rubin a suggéré que Blurred Lines ne sonnait « pas du tout comme Got to Give It Up », Williams a répondu : « Non. Mais le « feeling » était là. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut protéger par un copyright. Les chansons de salsa se ressemblent plus ou moins toutes ».

« C’est dommage pour la musique parce que nous avions une idée de ce qu’est une chanson, et maintenant, sur la base d’un seul cas, on se demande ce qu’est une chanson », a ajouté Rubin. « Ce n’est pas ce que c’était avant, parce qu’avant, il y avait les accords, la mélodie et les paroles. En tant que créateurs de musique, ça nous met dans une situation très inconfortable, car nous ne savons pas ce que nous pouvons faire ».

Le vidéoclip pour Uptown Funk

La crainte que l’affaire Blurred Lines pourrait entraîner une vague de procès s’est révélée justifiée. Mark Ronson et Bruno Mars ont été fortement critiqués après avoir sorti Uptown Funk. Les membres du Gap Band ont été les premiers à accuser de plagiat et se sont fait ajouter (avec le producteur Lonnie Simmons et le claviériste Rudolph Taylor) comme coauteurs de Uptown Funk.

Plus récemment, en 2021, la nouvelle venue Olivia Rodrigo a rétroactivement ajouté Hayley Williams de Paramore comme coauteure de son single good 4 u, au moment où il atteignait la première place du palmarès Billboard. Les comparaisons ont explosé sur les réseaux sociaux, avec des milliers de vidéos virales de mashup montrant comment la chanson de Rodrigo et le hit de 2007 de Paramore, Misery Business, partageaient non seulement une énergie pop-punk semblable, mais aussi une structure, une mélodie et une progression d’accords presque identiques. 

Le mashup de Olivia Rodrigo et Paramore

Ce n’étaient pas les seuls crédits d’écriture ajoutés à Sour, le premier album de Rodrigo. Taylor Swift, Jack Antonoff et St. Vincent ont tous été crédités rétroactivement comme coauteurs non collaboratifs. Après la sortie, Rodrigo a confirmé lors d’une entrevue au Zach Sang Show que son titre 1 step forward, 3 steps back interpolait New Year’s Day de Swift, puisqu’elle avait écrit les paroles et la mélodie directement au-dessus des accords de la chanson originale. Bien qu’aucun procès officiel n’ait jamais été rendu public, la jeune pop star aurait perdu des millions de dollars en payant des redevances aux collaborateurs ajoutés sur certaines de ses plus grandes chansons.

Le mashup de Olivia Rodrigo et Taylor Swift

La menace d’une poursuite judiciaire pour certains des artistes les plus populaires semble presque inévitable, surtout pour ceux et celles qui tentent de référencer des styles rétro.

Pourtant, c’est en soi un obstacle constant pour la nouvelle musique. Il n’y a pas de house music sans le disco qui l’a précédé, le psych rock n’aurait pas émergé sans le folk, le hip-hop est soutenu par le jazz, le funk et la soul qui l’ont précédé. La musique est un gratte-ciel qui s’est construit sur plusieurs générations. Dans le domaine de la musique, c’est l’histoire qui mène à l’innovation. 

Il n’y a aucun doute que la loi sur le droit d’auteur est nécessaire, mais a-t-elle perdu son chemin ? Les lois qui ont été initialement mises en place pour protéger les artistes risquent maintenant de les étouffer. Au Canada, nous avons la Loi sur le droit d’auteur de 1985 – un texte long et sec que le gouvernement canadien résume ainsi : « En termes simples, la Loi interdit aux autres de copier votre travail sans votre permission. Son but est de protéger les propriétaires de droits d’auteur tout en promouvant la créativité et l’échange ordonné d’idées ».

Il est difficile de soutenir que la menace de poursuites judiciaires encourage la créativité. Il est bien plus probable qu’elle nuise à l’imagination. Qui sait quel genre d’opus musical ne parviendra jamais à nos oreilles si les artistes ont peur d’être poursuivis en justice. Les artistes ont absolument besoin de protection, mais lorsqu’il s’agit de « promouvoir la créativité et l’échange ordonné d’idées », les législateurs ont peut-être raté leur coup. Comme dirait Marvin : they’ve got to give it up (ils doivent lâcher prise).  

Texte écrit par Daryl Keating et co-écrit par Maryse Bernard

Texte traduit par Maryse Bernard

Illustration par Yihong Guo