Après une première entrevue auprès de RAC en novembre 2022 pour son projet v H+ & M P, nous avons voulu en apprendre davantage sur les autres projets artistiques de celui qui organise les jams du vendredi au campus de Montréal, l’instructeur qui exhorte les étudiants à sortir de leur zone de confort, les incitant à se délester des carcans du monde de la musique dite traditionnelle. Max Pazhutan, nous partage sa vision de l’expression sonore.
RAC : Dans la première partie de notre entrevue abordant votre projet v H+ & M P, vous mentionnez qu’en tant que compositeurs et musiciens, il y a un avant et un après être devenu ingénieur du son. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce moment important dans la vie d’un artiste?
Max : Tout comme la compréhension technique des instruments de musique et de la composition de Bach a permis à ses œuvres d’atteindre des sommets inégalés, de même que l’approche mathématique et architecturale de la composition musicale de Iannis Xenakis a révolutionné le paysage sonore, un.e compositeur.rice a tout à gagner à connaître l’ingénierie du son. Cela lui permet de mieux communiquer sa vision créative et de transmettre plus efficacement ses intentions aux ingénieurs. Historiquement, les progrès de la technologie musicale ont été guidés par les besoins et les aspirations artistiques des grands compositeurs.rices. Cette collaboration continue de façonner le paysage de la production musicale à l’ère moderne.
RAC : Pouvez-vous nous raconter votre parcours dans le monde de la musique? Comment tout a commencé pour vous en Iran?
Max : Dès l’enfance, j’ai baigné dans un large éventail de genres musicaux grâce aux goûts éclectiques de ma fratrie. La prédilection de ma sœur pour les compositions classiques, l’affinité de mon frère pour le rock progressif et le palais étendu de mon autre sœur, qui inclut les bandes originales de films, les paysages électroniques, la synth-pop et diverses inclinaisons ethniques, ont conjointement constitué un véritable creuset de diversité musicale. Dans les années qui ont suivi la révolution cléricale, la situation musicale de mon pays natal est devenue loin d’être propice aux activités artistiques. La musique était reléguée à la périphérie des considérations gouvernementales, ce qui constituait une toile de fond difficile pour les musicien.ne.s en herbe. Face à cette réalité austère, je me suis embarqué dans le voyage acharné de l’autodidactisme. Cette odyssée autopropulsée a culminé lorsque j’ai été invité à enseigner au conservatoire de Téhéran.
Au milieu des années 90, j’ai commencé à créer et à jouer ma propre version de la musique techno sous le nom d’Acidmeg. Avec mon synthétiseur et un magnétophone, j’ai commencé à enregistrer mes compositions dans ma chambre. Motivé par les soirées clandestines et la réaction des gens, j’ai créé d’autres morceaux d’Acidmeg et plus tard, j’ai lancé un autre projet appelé « Liqui Syn Dementia ». J’ai toujours aimé la liberté que l’utilisation de monikers donnait aux artistes.
En 2002, j’ai réalisé que je pouvais créer mes propres plugins si j’apprenais à coder. Après plusieurs années, j’ai pu enfin dévoiler MP1, un synthétiseur logiciel que j’ai créé. Simultanément, j’ai découvert une discipline en plein essor dans le domaine de la musique électronique : le live coding. Cette approche innovante consistait, pour les musiciens.nes, à monter sur scène armés d’un ordinateur et à écrire des lignes de code qui se traduisaient instantanément en expressions sonores. Depuis, le codage informatique fait partie intégrante de mes projets, sans compter qu’il est devenu un point central de M P | v H+.
En 2005, j’ai commencé à créer des installations sonores, cherchant à créer des expériences sonores immersives qui transcendent les frontières conventionnelles. Cette transition a représenté un tournant dans ma trajectoire artistique.
RAC : Quels sont les rôles que vous avez occupés dans le monde de l’audio?
Max : Je me considère avant tout comme un compositeur. Depuis 1991, je consacre ma vie à la création de compositions électroniques et numériques qui explorent les possibilités illimitées du son. Ce rôle n’est pas seulement une profession : c’est une passion qui a motivé mes efforts créatifs pendant plus de trois décennies. Outre la composition, je suis également concepteur sonore. Qu’il s’agisse de galeries d’art ou de projets multimédias, la conception sonore me permet d’apporter une dimension auditive unique à divers espaces et expériences, qui transcende les frontières de la musique traditionnelle.
L’enseignement est un autre élément important de ma vie. En Iran, j’ai constaté les limites des universités locales dans la transmission d’une connaissance approfondie de la musique contemporaine. J’ai toujours été déterminé à combler cette lacune. Aujourd’hui, en tant qu’instructeur et conférencier depuis plus de vingt ans, j’ai le privilège de partager mes connaissances et mes idées sur la musique et les arts audio. Au fil des ans, j’ai pris l’initiative de concevoir une série de cours en ligne sous le chapeau de « Pazhutan Ateliers », destinés aux passionnés de musique électronique et informatique. En plus d’être un instrumentiste, je me développe en tant qu’auteur : je crois au pouvoir des mots pour compléter le langage de la musique. Enfin, que ce soit par le biais de mon entreprise ou de collaborations, je suis fier de participer activement à l’industrie des technologies musicales, de la création artistique, de la recherche scientifique et de la production expressive. Cette implication multiforme me permet de rester à la pointe des progrès technologiques et de les intégrer dans mon processus créatif.
RAC : Tous les étudiants de RAC savent que vous êtes un fan de métal. Comment le métal est-il venu à vous?
Max : Lorsque Metallica a sorti Kill’em All, j’avais 9 ans et j’aimais la musique forte et la fougue. L’un des chapitres les plus profonds de mon odyssée musicale a été l’exploration du métal. Bien que j’aie été exposé à des groupes tels que Thin Lizzy, Uriah Heep et Jeff Beck lorsque j’étais enfant, c’est Kiss, leur apparence et leur intensité sonore qui ont attiré mon attention. Surtout lorsque j’ai vu leur photo au dos d’une bande dessinée de Ghostrider de Marvel Comics.
Le métal, et plus particulièrement le death metal, a joué un rôle crucial dans mon parcours personnel. J’ai appris à apprécier le métal non seulement en tant que genre musical, mais aussi en tant que force transformationnelle. L’énergie brute et cathartique fournit un exutoire aux émotions, transformant la négativité en force de résilience. Pour moi, le métal est une évolution du blues, chaque riff et chaque rythme portent les échos mélancoliques de ses racines. C’est un genre qui ne repose pas uniquement sur des prouesses musicales : c’est un phénomène culturel qui s’inspire de la technologie, de la philosophie, de la littérature et de l’énergie pure de la performance musicale. Dans le paysage contemporain, le métal a évolué pour devenir presque mathématique, avec des signatures temporelles et structures complexes, ainsi qu’une fusion des genres, mettant en évidence sa capacité d’adaptation et sa quête constante d’innovation. Il n’est pas confiné à une narration unique ; c’est plutôt un genre dynamique, à facettes multiples, qui reflète les complexités de l’expérience humaine.
RAC : Que signifie pour vous la composition musicale? Comment appliquez-vous cette vision?
Max : L’architecture, en analogie avec la composition musicale, sert de lentille convaincante pour observer la construction de paysages sonores qui se déploient au fil du temps. Adoptant un état d’esprit ancré dans la philosophie architecturale contemporaine, je trouve l’inspiration dans les principes novateurs de la forme, de la structure et de la conception spatiale. Cette approche va au-delà de la notation musicale traditionnelle, explorant le vaste potentiel du son en tant que matière première. Tout comme l’architecte considère les matériaux et « l’espace », les compositeurs naviguent désormais dans une palette sonore, créant des environnements auditifs dans le « temps ». La fusion de cet état d’esprit architectural avec les possibilités mathématiques offertes par l’informatique donne lieu à une synergie dynamique, ouvrant la voie à des compositions musicales sans précédent. Les compositeurs doivent explorer des motifs complexes, manipuler le timbre et expérimenter avec le tissu même du son.
RAC : Quel conseil donnez-vous aux étudiants de RAC en matière de création, de composition et de philosophie de l’artiste?
Max : Je demande à mes étudiant.e.s d’accepter la convergence des mathématiques, de la géométrie et de la musique. Ces disciplines ne s’excluent pas mutuellement mais s’entrecroisent, offrant un langage unique pour articuler vos idées créatives. Le codage informatique, en particulier avec des langages libres comme SuperCollider et Pure Data, est un outil puissant qui peut débloquer des possibilités sonores illimitées. Je suggère d’écouter, d’étudier, de jouer et d’aborder chaque composition avec un esprit ouvert et une volonté d’apprendre. Il est important de résister à l’envie de juger, mais plutôt d’observer les artistes pour comprendre les motivations, les techniques et les concepts sous-jacents qui animent chaque pièce.
L’improvisation implique la création spontanée et encourage la flexibilité, permettant à la musique d’émerger authentiquement. C’est un pouvoir de transformation qui fait le lien entre les sphères classiques et contemporaines. En fin de compte, votre voyage dans la composition est une exploration personnelle, n’oubliez pas que votre voix unique s’ajoute à la riche tapisserie de l’expression musicale.
RAC : Avez-vous des projets pour 2024?
Max : L’un des temps forts de l’année 2024 est une performance audiovisuelle monumentale qui se déroulera à MUTEK – un événement qui n’est pas seulement une performance, mais un périple dans les domaines inexplorés du son et de la vision. La performance audiovisuelle vise non seulement à divertir, mais aussi à transporter le public dans un monde où la musique et les images s’entrelacent parfaitement, repoussant ainsi les limites de la perception.
Je plonge profondément dans les techniques informatiques, explorant les dernières avancées en matière de codage en direct et exploitant la puissance des technologies émergentes pour créer des expériences sonores innovantes. Toujours en train de développer du contenu pour mes ateliers, mes masterclasses et ressources en ligne, j’explore également les collaborations interdisciplinaires, en joignant mes forces à celles d’artistes, technologues et créateurs.rice.s issus de divers domaines. L’objectif est de créer quelque chose qui va au-delà du conventionnel, une fusion immersive de l’art et de la technologie qui résonne au travers des disciplines.
Écrit par Caroline Boivin
Illustration par Holly Li