Imaginez que vous êtes assisᐧe seulᐧe dans une pièce sombre avec la télévision allumée. Un personnage à l’écran se cache dans un coin, accroupi dans un silence absolu, tandis qu’une entité menaçante rôde hors écran, à quelques instants de le découvrir. Cette scène d’horreur classique, avec ses indices visuels et auditifs typiques, vous inspirerait probablement un sentiment croissant de détresse, de malaise et de suspense, illustrant parfaitement comment évoquer l’émotion connue comme la terreur. La musique, en particulier, communique la terreur par l’utilisation de dissonances, de bruits non harmoniques et de changements importants et soudains de dynamique sonore. Nous allons examiner de plus près comment chacun de ces éléments contribue à créer ce sentiment de malaise.
La science de la peur
Le développement du sentiment de peur est un processus inconscient que l’on appelle souvent le conditionnement de peur, désignant la période quand un individu apprend si une réponse de combat ou de fuite est la meilleure réponse à un danger perçu.
Alors que des genres tels que witch house, goregrind et horrorcore s’appuient souvent sur des images et des paroles effrayantes pour assurer l’impact souhaité, la musique en général transmet la terreur de manière plus efficace lorsqu’elle adopte les techniques susmentionnées qui sont employées dans les films d’horreur ou les jeux vidéo effrayants. Cela est dû en partie à l’incapacité de notre cerveau rationnel à comprendre ces tropes sonores, les recevant comme un assaut auditif qui pourrait être interprété comme de la peur ou de la terreur. Les bandes originales de films d’horreur comme Shining ou L’Exorciste, ou les thèmes de jeux vidéo comme « My Heaven » de Silent Hill ou « Shadow Temple » de The Legend of Zelda sont tous de bons exemples de la façon dont les dissonances musicales, les bruits et les dynamiques instables peuvent provoquer un sentiment de suspense et, par extension, de terreur.
Conseil n°1 : dissonance musicale
L’utilisation de la dissonance musicale est très importante pour créer un sentiment de terreur en audio. La dissonance crée un sentiment de malaise chez l’auditeur car notre cerveau a du mal à rationaliser le rapport entre la fréquence des notes et leurs harmoniques qui s’entrechoquent.
Par exemple, alors qu’un intervalle consonant tel qu’une quinte parfaite peut contenir un rapport de 3:2, ce qui est assez facile à rationaliser pour notre cerveau, une seconde mineure contient un rapport de 16:15 – beaucoup plus difficile à conceptualiser. C’est précisément pour cette raison que la musique terrifiante emploie ces intervalles dissonants pour provoquer un sentiment de malaise. Ce sentiment déclenche notre compréhension rationnelle que quelque chose ne va pas, ce qui provoque la réaction de lutte ou de fuite.
On peut retrouver la dissonance dans les partitions musicales sous une de ces trois formes : le chromatisme, les tritons et l’atonalité. Le chromatisme (l’utilisation de notes séparées d’un demi-ton), tel qu’entendu dans la gamme de Shepard dans le « Looping Staircase » (l’escalier en boucle) de Super Mario 64, donne l’impression d’une montée constante — ou de descente si elle est jouée à l’envers. Le triton (un intervalle musical composé de trois tons entiers), l’intervalle le plus dissonant dans l’accordage standard à tempérament égal, utilise l’irrationalité de cet intervalle pour déséquilibrer l’auditeur, comme dans « Ikana Canyon » de Majora’s Mask, qui comporte de nombreux tritons dans la basse et la mélodie. Enfin, il y a l’atonalité qui ne tient pas compte de l’existence d’un centre de tonalité, ce qui empêche la musique de revenir à une sorte de « base » et maintient donc l’auditeur dans un état de suspense.
Conseil n° 2 : le bruit
L’utilisation de bruits ambiants et non musicaux dans les compositions pousse le sentiment de malaise encore plus loin que la dissonance, car elle crée des sections surprenantes qui déclenchent notre réaction très réelle et innée au danger. Des sons tels que des cliquetis, des respirations lourdes, des cris ou des coups inattendus inspirent nos craintes de devenir la proie, car ce sont les mêmes sons que nous nous attendrions à entendre dans une situation réellement dangereuse.
En outre, le contraste frappant entre des notes de musique et une forme de bruit sec alerte notre cerveau de la même manière que la dissonance, puisque, comme nous l’avons mentionné, le bruit se distingue. Lorsque l’on analyse le thème « Giygas Battle » de Earthbound, il est évident que la respiration que l’on entend tout au long du morceau est à la fois sinistre et menaçante, et qu’elle vise à alerter l’auditeur d’une menace immédiate.
Les sons percutants, comme ceux de « Killed By Death » de Silent Hill, lorsqu’ils sont utilisés en combinaison avec la dissonance, créent également l’effet d’une menace imminente. En ayant des tuyaux qui sont cognés constamment par-dessus la musique, le morceau suggère la prédation, comme s’il y avait un monstre à proximité, qui nous traque manifestement. Cette technique peut créer une expérience extrêmement viscérale, surtout lorsqu’elle est utilisée avec des dynamiques soudaines et fortes.
Conseil n° 3 : dynamiques importantes et soudaines
La dernière technique de composition employée dans la musique terrifiante est l’utilisation de larges gammes dynamiques et de changements soudains de volume. Une dynamique importante et inattendue peut déclencher la libération d’adrénaline, car l’humain craint généralement les bruits forts et les comprend comme un danger potentiel.
Le volume dans une composition d’horreur peut être catégorisé en trois formes principales : le crescendo, le sforzando et le silence. Les crescendos, comme ceux du thème des Dents de la mer (traduit de l’anglais pour Jaws), génèrent du suspense par l’anticipation toujours plus grande d’un danger à venir, comme le suggère le son progressivement plus fort.
Ensuite, il y a les sforzandos, un terme musical qui fait référence à un accent fort et soudain dans la composition musicale. En créant une augmentation explosive du volume, l’auditeur est surpris, ce qui déclenche une réaction de stress dans le cerveau.
Enfin, il y a le silence, qui est souvent suivi de près par le sforzando mentionné précédemment. Le silence absolu, quel que soit le média, n’est absolument pas naturel et défie les attentes du public. La raison en est que le silence complet n’existe pas dans le monde naturel ; une certaine forme de bruit ambiant est toujours présente. Les compositions d’horreur peuvent utiliser cette bizarrerie à leur avantage, en mettant le spectateur complètement au bord de son siège alors qu’il attend la menace (Sans un bruit de John Krasinski utilise ce trope à merveille).
–Dernières notes–
S’il est vrai que la terreur peut être exprimée par la composition, c’est en fait l’auditeur qui crée sa propre peur en essayant, impuissant, de prédire et de comprendre les menaces présentées sans nom. Il est donc essentiel de jouer sur les émotions du spectateur pour créer un morceau de composition d’horreur réussi ; les compétences audio et la compréhension de la nature humaine jouant un rôle tout aussi important. Dans son essence, la terreur en musique encourage simplement l’auditeur à anticiper ce qui est à venir, et fait allusion au Boogeyman qui se cache tout près.
Illustration par Yihong Guo