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Qu’est qu’un.e ingénieur.e de mastering fait derrière la console? Cela peut parfois nous sembler abstrait et métaphysique. L’artiste qui apporte son projet pour cette étape ultime souhaite que son univers sonore, qu’il soit éthéré, nerveux, lourd ou sensible soit amplifié et se raffine au travers des mains (et oreilles) de l’ingénieur.e. Il y a des ingénieurs.es qui ont apporté leur touche particulière sur des albums invétérés et qui sont recherchés pour cela. C’est le cas de l’ingénieure de mastering Mandy Parnell qui, graduée de la SAE institute, a réussi à gravir les échelons et se placer parmi les grands du milieu. S’appuyant sur une intention émotionnelle, elle a su faire briller les albums de Bjork, Aphex Twin, The White Stripes, Jamie XX, Sigur Rós, Shura et bien d’autres. En mastering, on veut bien faire sonner un album, mais selon Parnell le plus important reste d’en libérer les émotions. 

Le tour de maître 

Comme vous pouvez lire dans notre article « Qu’est ce que le mastering? », le mastering sert à faire en sorte que la qualité audio soit la même peu importe le système et que chaque pièce unique d’un album soit aussi cohérente avec son ensemble. Les différentes méthodes utilisées peuvent aller de l’application d’un EQ, la compression (parallèle, dynamique), l’utilisation de limiters ou l’ajout d’harmoniques par exemple. L’ingénieur doit apporter des ajustements à la tonalité générale d’un projet, par opposition à ses éléments individuels pendant le mixage. 

Selon Mandy Parnell, le mastering n’est pas que tourner des potentiomètres pour faire sonner le matériel d’une façon différente. Il ne suffit pas d’avoir un bon équipement non plus. Pour elle, l’objectivité est primordiale: les ingénieurs sont les derniers sur la ligne de production. Il peut être difficile pour des artistes ayant travaillé pendant des années sur un album d’être entièrement objectifs puisqu’ils restent émotionnellement attachés au projet. Alors une des tâches de l’ingénieur.e est de rester objectif et d’avoir cette conversation difficile avec l’artiste quand quelque chose chicotte. La discussion doit aussi comporter une rétroaction et une perspective externe sur le projet, que ce soit en lien avec le concept ou la direction artistique. Il faut le comparer avec d’autres projets du même genre pour tenter de savoir comment le faire entrer dans le monde et discuter de l’optimisation du son selon le format dans lequel il sera lancé. « Nous devons nous assurer que la musique entre dans la boîte sonore pour le genre; autrement l’audience risque de ne pas la comprendre », soutient-elle dans une entrevue avec Shure.

Ayant maîtrisé le mastering à l’époque analogue, type d’outils qui pour Parnell, est plus facile pour les sens puisqu’il n’y a pas le visuel du monde digital pour entraver l’audition, explique-t-elle dans l’entretien avec Sound on Sound Magazine. Elle y mentionne aussi qu’elle a appris à travailler avec ses oreilles et elles sont encore son meilleur outil. Il faut des années d’entraînement pour devenir un bon ingénieur de mastering avec une bonne écoute critique, une culture musicale, une connaissance de la tonalité et des problèmes de phases. C’est pour ces raisons, entre autres, que ses stagiaires ne touchent à aucun bouton dans leur première année avec elle.

Mandy a masterisé l’album Vulnicura de Björk, travaillant aussi sur ses projets d’applications et de réalité virtuelle. 

Écouter pour mieux ressentir 

À la recherche de ce qui captera son audition, l’ingénieure commence sa session de mastering en écoutant le projet comme beaucoup le feraient à la maison : en arrière-plan. Elle peut marcher ou faire une activité dans la pièce, par exemple. Elle se laisse guider par la direction artistique, la vision globale du projet et ce que l’artiste semble vouloir. Elle est alors à l’écoute de son corps et des émotions qui peuvent émaner. « Si quelque chose me met mal à l’aise lors de cette première écoute, ou si des émotions surgissent, j’en prends note. Parfois, lorsqu’on écoute, le corps réagit. Il est important pour moi de noter ces réactions », raconte-t-elle dans son entrevue avec Shure.

Quand toutes les notes et sensations sont rassemblées, le moment est venu de faire le mastering. Elle commence alors par la structure de gain et l’écoute avec la courbe de fréquence plate. Elle décide alors quel traitement appliquer : généralement le flux audio passera minimalement par un équipement analogue, quelques autres structures de gain (parfois 8 niveaux) et des transformateurs pour créer une légère distorsion. 

La curiosité de l’ingénieur.e: l’expérimentation et la technologie

Mandy a passé ses débuts en tant qu’ingénieure dans la salle d’édition du studio Exchange à Londres où, avec une Sony DAE 3000, elle éditait des journées entières le matériel d’artistes comme Prodigy, Basement Jaxx, Chemical brothers, et Fatboy slim en leur compagnie.

Elle bâtit plus tard un studio temporaire chez elle pour avoir plus de temps durant la recherche d’une nouvelle maison. Black Saloon Studios voit officiellement le jour après que l’endroit ait permis à Parnell de multiples explorations sonores. Elle déclare qu’à l’époque elle « était dans une folle aventure dans la théorie du mastering » en explorant des théories du son, des structures de gain, du flux de signaux, l’audio digital et les formats de fichiers. Elle a aussi testé beaucoup d’équipement, en collaborant avec Mastered for Itunes (MFit) et MQA. Le tout dans un but d’avoir le meilleur son et de présenter l’émotion recherchée dans ces différents formats.

Se surnommant une « geek » de tout ce qui est audio et électronique, elle croit qu’il ne faut jamais oublier pourquoi l’audio nous a intéressé au début: la nouveauté, la technologie, la curiosité et l’ouverture. La remise en question, les mises à jour et l’expérimentation doivent faire partie de l’équation en tant qu’ingénieur.e de mastering. 

Le convertisseur, les systèmes de lecture et d’enregistrement sont les équipements les plus importants pour elle. C’est ceux-ci qui permettent (ou non) d’avoir l’emprise sur le son. D’ailleurs, elle mise sur des convertisseurs qui sont les plus neutres possible afin d’avoir le contrôle sur les couleurs qu’elle choisit d’ajouter. Bien qu’elle soutienne que les ingénieurs tentent généralement tous d’être les plus neutres et objectifs possible, elle affirme que la plupart ont un son et une saveur pour lesquels ils sont recherchés. Pour sa part, quand on lui demande d’apporter sa touche, c’est pour l’espace et le groove.

Stopper le boys club

L’artiste du mastering est allé à la poursuite de sa passion même si, à l’époque, il y avait peu de programmes offerts en audio. Elle a dû travailler deux fois plus pour faire sa place dans ce milieu qui est encore majoritairement masculin (en 2021, 7,7% des ingénieurs de mastering en studio sont des femmes). Elle en fait sa bataille principale, accompagnant aujourd’hui des jeunes femmes ingénieures aux quatres coins de la planète. La récipiendaire du prix de l’ingénieure mastering de l’année en 2015, 2017 et 2019  postule dans une entrevue avec The Guardian que « nous devons faire en sorte que les jeunes femmes dépassent leur peur » :  « Regardez! J’y étais, je l’ai fait – Si vous avez des problèmes de sexisme, venez me parler. Vous pouvez le faire! »

Écrit par Caroline Boivin

Illustration par Yihong Guo