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Questions rapides

Si vous n’étiez  pas ingénieur du son, vous seriez… Chef de cuisine mexicaine

Band préféré durant votre adolescence: Muse 

La chanson qui joue dans vos écouteurs en ce moment: Andrew Bird-Gypsy Moth

Gear dont vous ne pouvez vous passer?

  • Le premier gear analogue que j’ai acheté dans lequel j’envoie tout ce qui est un peu bassy: EQ Klark Teknik EQP-KT. 

Un mot ou courte phrase qui vous vient à l’esprit en pensant à:

  • Musique pour film: Être le guide et orienter le spectateur
  • Enseignement:  Partage
  • Mexico: Bouffe
  • Montréal: Bonheur

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RAC : Vous avez 8 ans d’expérience professionnelle dans l’industrie audio, pouvez-vous décrire votre parcours académique et musical?

Alejandro : Je joue de la musique depuis que j’ai 13 ans mais je n’avais pas l’intention d’en faire ma carrière; je m’étais inscrit en mathématiques à l’université. C’est une amie de ma mère, enseignante à l’École Nationale de Musique, qui m’a convaincu de soumettre ma candidature en composition. C’était une école super classique. Là-bas, si on t’entendait jouer quelque chose de différent du classique (même le jazz et pire pour la salsa!), les profs te renvoyaient chez toi sur le champ. Plus le temps passait et plus je trouvais leur approche ridicule: qui sont-ils pour dire ce qui est bon ou pas?

C’est ce qui m’a fait vouloir changer d’environnement. Alors, en 2012, j’ai appliqué pour une bourse qui permettait d’aller étudier la composition à L’institut Australien de Musique à Sydney. Après mes 2 années et demi là-bas, j’ai fait une maîtrise en composition pour film à L’université d’Edimbourg, en Écosse. 

C’est après quelques années de va-et-vient entre Montréal et Mexico que je me suis officiellement installé à Montréal en 2019. Ça n’a pas été facile, mais le changement d’environnement m’a aidé à voir les choses différemment. J’avais déjà des contrats par-ci par-là, mais je craignais la transition vers le marché du travail.

RAC : Qu’est ce qui vous a mené à devenir professeur à RAC?

Alejandro : Quelque part, j’ai toujours bien aimé cet aspect de partager les connaissances. Dans le milieu académique c’est un peu l’évolution naturelle des choses: tu fais tes études, ta maîtrise, ton doctorat puis tu enseignes. C’est particulièrement le cas dans le domaine artistique quand tu as un doctorat. 

Juste après la pandémie, j’ai vu une annonce passer et j’ai envoyé mon CV. Quand j’ai été engagé je me suis juré que je ne ferai pas comme les profs « traditionnels » que j’ai eus. J’encourage la diversité dans la musique.  Le français étant ma troisième langue, les cours en français me faisaient peur. Au début je passais souvent à l’anglais mais maintenant je pense que je m’en sors bien…

RAC : Quel est votre domaine de prédilection (la composition pour vos projets persos, la performance, l’enseignement etc.)?

Alejandro : La performance n’a jamais été mon aspect préféré. En fait, ce que j’aime dans ce que je fais, c’est que ça change souvent. Ce n’est pas seulement de la musique de film ou de la conception sonore. Pour la post prod, je travaille encore sur des projets indépendants, ce qui est intéressant parce que je prends en charge différents rôles: de la production audio globale à la composition et la conception sonore. Là c’est vraiment super parce que je mélange tout et j’ai le contrôle.

Le fait de mixer d’autres projets m’a apporté une perspective différente. Quand tu mixes ta propre musique, tu ne vois pas toujours toutes les possibilités. Donc quand j’ai commencé à faire le mixage, j’ai pu me dire « ah ok, la prochaine fois que je travaille sur ma musique je peux faire ça, puis ça ». C’est la même chose pour le mastering. D’habitude on prend de meilleures décisions pour les autres, alors là c’est une pratique pour appliquer tout ça sur ses propres projets.

Pour mes projets personnels, ça vient par phase: quelquefois j’ai très envie, puis d’autres je suis trop gêné. Je préfère les collaborations.

RAC : Vous avez récemment lancé votre podcast, Bande Sonore, qui est un espace pour partager les projets, expériences et le parcours de différents professionnels de l’audio. Pouvez-vous en parler davantage??

Alejandro : Ça partait d’idées que j’ai eu quand je suis sorti de l’université, puis ça m’a permis de rencontrer des gens quand je me suis installé à Montréal. En art, on ne voit pas beaucoup d’exemples et on ne nous présente pas assez d’options qui nous permettent d’ouvrir nos horizons pour le futur.  On va à l’école parce que c’est ce qui semble le plus logique et le plus sûr et  on se retrouve face au marché du travail sans vraiment savoir quoi faire. En discutant avec les gens, je me suis rendu compte que tout le monde avait un vécu semblable. 

C’est aussi une façon pour moi de «dé-romantiser» l’idée de l’artiste : celui qui se dédie entièrement à l’art par vocation ou par amour pour la musique. Nous devenons «l’ami musicien», «celui qui est cool», comme un accessoire. On ne devrait pas être considéré comme ça. 

Le podcast vient de tous ces sentiments là. Mes invitées sont de différents milieux donc on voit plusieurs types de cheminements et de réussites professionnelles. C’est super intéressant de rencontrer ces gens et ce n’est pas juste une conversation – nous composons aussi une pièce ensemble alors c’est vraiment enrichissant!

RAC : Quels sont quelques éléments ou sujets qui vous touchent particulièrement face à la transition vers le marché du travail?

Alejandro : Je trouve qu’on ne nous enseigne pas de notions plus concrètes afin de pouvoir fonctionner en tant qu’artiste indépendant. C’est beaucoup plus que simplement  avoir les outils pour écrire la musique ou l’interpréter: il y a un savoir-être aussi. Dans mon parcours au Mexique, en Australie ou en Écosse, on nous parlait du côté professionnel, mais ce n’était jamais un sujet de cours complet. 

J’ai eu un cours de post prod et musique pour film qui parlait de comment écrire pour décrire les actions ou les émotions. Mais nous n’avons pas abordé que les clients.es ne s’expriment pas toujours en termes musicaux. On l’apprend avec l’expérience. Par exemple, quelqu’un m’a dit qu’il voulait « quelque chose de vert ». Ça avait du sens pour lui parce que sa mise en scène était avec un filtre vert, mais il faut discuter et réfléchir pour savoir comment représenter ça.

Puis à l’université en Écosse pour la dernière semaine, Guy Michelmore, un compositeur renommé, qui a écrit pour Disney et Marvel entre autres, est venu faire une classe de maîtres. Il nous a dit en commençant: « attendez vous pendant les 2 prochaines années à ce que personne ne vous paye pour votre musique». C’était cru mais tout le monde à réalisé ça à ce moment-là. C’était le «real talk» à avoir. Oui on apprend tout ce qu’il faut, c’est important, mais il faut aussi savoir le contexte dans lequel on va travailler ensuite. Dans les écoles d’art en général, peut-être mis à part certains petits workshops, il n’y a pas de cours comme ça.

RAC : Qu’est ce qu’est le succès dans l’industrie audio pour vous?

Alejandro : Pendant longtemps je n’y pensais pas parce que j’étais au Mexique et j’avais des contrats qui payaient assez, mais j’avais aussi l’aide de mes parents, ce qui me faisait honte. Ce n’est pas facile de faire ce que tu aimes sans complètement en vivre à 100%. J’ai fini par accepter que sans le soutien de ma famille, ça n’aurait juste pas été possible et, aujourd’hui, j’essaie de faire honneur à ça. Je pense qu’on a tous fait quelque chose d’autre pour gagner sa vie tout en poursuivant notre passion – chacun sa version et c’est bien de normaliser ça. 

Aussi, ce n’est pas relié au talent: tu peux réussir sans être bon et échouer en étant talentueux. Le succès est subjectif et change selon le contexte.

De mon côté, j’ai atteint le succès quand mon contexte professionnel est devenu plus confortable. Mais juste avant, je travaillais dans un petit resto et j’avais quelques contrats; ça n’allait pas mal mais ça n’allait pas bien, non plus. J’ai pensé à changer de domaine parce que le resto m’apportait plus de sécurité financière. C’était ça ou de prendre un prêt pour mon studio… j’ai choisi le studio.

RAC : Quel(s) conseil(s) donneriez-vous aux étudiants pour les aider dans leurs transitions vers le milieu professionnel? 

Alejandro : Il faut produire le plus possible, mais encore plus important, et ce n’est pas facile: il faut se faire une carapace. Comme dans n’importe quel milieu, il y a des choses qui peuvent être difficiles à entendre. Ce n’est peut-être pas méchant, ni personnel mais quand tu as travaillé aussi longtemps sur ton art: ça fait mal. 

Il faut dire aussi qu’il y a tellement de contextes qui nous empêchent de réussir tout ce qu’on voudrait.  Ce n’est pas parce que tu n’es pas bon. Si quelqu’un n’a pas aimé ta musique, il peut aimer ta voix, ta performance. Tu dois réessayer. 

Chaque opportunité est un semi qu’on plante. Tu en plantes un quand tu travailles avec quelqu’un, puis après tu vas travailler avec une autre personne et c’est possible que ce semi va pourrir mais ce n’est pas grave puisque l’autre s’est mis à pousser. 

RAC : Vous faites des instruments virtuels avec la plateforme Kontakt. Quel a été votre parcours et est ce qu’il y a des éléments précis à savoir pour commencer? 

Alejandro : Kontakt était un des échantillonneurs que nous avons étudié en Australie. Cette plateforme, utilisée par beaucoup d’entreprises, fonctionne comme un plugin qui permet d’avoir accès à des librairies d’échantillons sonores. Les plus populaires sont basées sur les blockbusters alors elles finissent toutes par se ressembler.

Les grands noms n’utilisent pas ces librairies: ils font des enregistrements pour créer les leurs. J’ai eu plus de temps pendant la pandémie alors j’ai pu créer mes instruments, apprendre à construire les interfaces graphiques et les rendre plus faciles d’utilisation. J’ai commencé à les vendre ensuite.

Acousmatic Sounds | Remote Violin – Trailer – YouTube

RAC : Quels seront vos prochains projets pour 2023?

Alejandro : La suite de mon podcast! Pour l’instant, l’enseignement prend plus de place mais j’ai déjà travaillé sur 5 épisodes qui sortiront prochainement. Depuis le premier épisode, j’ai plein d’amis qui me suggèrent des invités potentiels, alors ça me fait une bonne liste. Je suis content de pouvoir partager des exemples de gens inspirants qui démontrent qu’il y a plein de façons de de réussir dans notre milieu.

Texte écrit par Caroline Boivin

Illustration par Yihong Guo