fb

Si vous avez déjà entendu parler d’Arcade Fire, A Silver Mt. Zion ou Godspeed You! Black Emperor, vous devez lire ce qui suit à propos de leur ingénieur du son/réalisateur, le montréalais Howard Bilerman, qui est intervenu comme professeur invite au campus de l’Institut d’enregistrement du Canada/RAC à Montréal. L’Institut d’enregistrement du Canada/RAC organise régulièrement des classes de maître, où elle invite les plus grands professionnels de l’industrie audio et musicale à partager leur riche expérience. Ces séminaires sont gratuits et ouverts au public, ce qui permet non seulement aux étudiants de RAC mais aussi à toute personne passionnée de musique et d’audio de rencontrer en personne les plus influents acteurs de l’industrie, de découvrir les secrets du métiers, et aussi de faire du réseautage. Pour vous tenir informés des classes de maîtres de RAC, surveillez la page Événements de notre site web. 

Article initialement écrit par Robert Breen, EQ Magazine

Si vous avez déjà entendu parler d’Arcade Fire, A Silver Mt. Zion ou Godspeed You! Black Emperor, il est temps pour vous d’apprendre que leurs grandes orchestrations post-rock pleines de chaleur, qui ont fait de nombreux émules, ont été mises au monde par une seule et même personne : le propriétaire du studio hotel2tango, réalisateur de disques et ingénieur du son Howard Bilerman. Robert Breen, journaliste chez EQ Magazine, nous fait entrer dans l’atelier de cette sommité du studio, qui a également été invité à RAC Montréal pour donner une classe de maître à nos étudiants, aspirants techniciens en enregistrement et réalisateurs de disques.

C’est officiel : vos petites tounes pop-punk calés sur la grille de tempo, bourrés d’auto-tune, de sons échantillonnés et de paroles ironico-sarcastiques sur lesquels vous êtes en train de plancher sont passés de mode. Ce temps-là est passé.

On entend souvent les techniciens en enregistrement et les réalisateurs de disques (et peut-être vous avec) faire des critiques acerbes sur la musique d’aujourd’hui. « Les bands ne savent plus écrire, ne savent plus jouer, l’ordinateur rend les musiciens paresseux, parce que les pistes sont illimitées et on peut tout rééditer, et puis l’industrie de la musique est une catastrophe », et d’ajouter : « J’attends la prochaine révolution musicale ».

Dernière nouvelle : La prochaine révolution est après se passer, à Montréal, Québec. Justement, à Montréal, il y a des gens qui ont décidé de ne pas se complaire dans ces critiques. Ils se sont mis à travailler. Différemment.

En quelques mots, Montréal est unique, c’est indisputable. En 1997, la plupart des clubs montréalais pratiquaient le « pay to play » – et certainement, le club où tu te produis fait ça aussi. C’est cette année que Godspeed You ! Black Emperor a remis Montréal sur la map avec leur album autoproduit, mondialement acclamé. Comme ils étaient indépendants, ils ont même gagné un peu d’argent sur cet album. Les membres du groupe, Efrim Menuck et Thierry Amar ont réinvesti ce profit dans leur ville, en lançant leur lieu de performance alternatif, hotel2Tango. L’idée : faire jouer les bands locaux gratuitement et leur laisser 100% des billets vendus à la porte.

Beaucoup de ces bands ont enregistré leurs premiers albums au studio Mom & Pop Sounds, dont le propriétaire est Howard Ian Bilerman, un ingénieur du son visionnaire et dont l’esthétique semble hors de notre temps. Comme des salles de plus en plus intéressantes commençaient à pousser à Montréal, l’hotel2tango est devenu un studio d’enregistrement à part entière, dirigé par Howard, Efrim et Thierry, désormais membres du groupe A Silver Mt. Zion.

À Montréal, les salles s’améliorant, les artistes pouvaient se rencontrer, collaborer, les bands ont progressé, on a commencé à s’échanger les albums, les critiques ont commencé à fleurir, et de fil en aiguille, on a passé le mot… C’est Bilerman qui donne son unicité au son de cette mouvance, garantie sans grille de tempo ni autotune.

Voici quelques uns des moments les plus inspirants de notre mémorable discussion avec Howard Bilerman, lors de la classe de maître qu’il a donnée à RAC Montréal.

La presse a présenté Montréal comme étant en dépression financière autant que culturelle… Mais c’est quoi qui s’est passé pendant qu’on ne regardait pas ?

D’abord… Ne croyez jamais ce que vous lisez dans les nouvelles !! La crise économique et sociale à Montréal a été largement exagérée, comme l’a aussi été l’animosité entre les anglophones et les francophones. L’absence de monopole industriel a en fait aidé les groupes d’ici à grandir de manière organique, contrairement aux groupes qui subissent trop d’attention de la part des médias. En fait, le contrôle des médias est vraiment pas bon pour les bands.

Quelles sont tes influences ? 


J’apprends constamment d’Efrim et de Thierry, mes partenaires de travail. C’est tellement facile de devenir nerveux quand quelque chose ne va pas. Eux, ils voient de la beauté dans les accrochages. Ça m’a appris à regarder les imperfections plus comme du caractère… et c’est justement ça qui donne un enregistrement humain. L’année dernière, j’ai réalisé que tous les disques que j’écoute ont été réalisés par le même gars… Blonde on blonde et Highway 61 Revisited de Bob Dylan, les premiers albums de Leonard Cohen, Sunday Morning Coming Down de Johnny Cash… Tous réalisés par la même personne, Bob Johnson, je ne le connaissais pas pantoute. J’aimerais tellement en apprendre plus sur lui, lui voler son cerveau ! Imagine être dans la salle de contrôle avec lui pendant qu’il monte ces albums ! Il y en a d’autres aussi : Jimmy Miller, John Simon, David Briggs… Tous ces gens ont eu le crédit de « réalisateur », donc je ne peux pas dire de quelle manière ils ont contribué au son de ces albums, mais sous leur regard, l’artiste n’a jamais souffert de la présence du réalisateur, qui est souvent néfaste. Steve Albini a été une grande inspiration pour moi. C’est un champion de l’enregistrement analogique, et il a beaucoup politisé le processus de l’enregistrement dans un contexte où l’industrie abuse des artistes. En 1994 j’étais un jeune et naïf diplômé de l’université, et ce discours m’a touché.

Comment est-ce à l’hotel ?

L’hotel2tango est un loft de 5000 pieds carrés situé dans un bâtiment industriel de 100 ans d’âge, juste à côté du chemin de fer, au-dessus d’un garage automobile. Nous ne pouvons pas travailler pendant le jour à cause du bruit des perceuses et de l’odeur des gaz d’échappement !

La première fois que je t’ai approché pour faire cet article, tu as gentiment décliné, et tu as ajouté : « Ce disque [Funeral d’Arcade Fire, dont Howard a été le co-ingénieur et pour lequel il a joué la batterie], je l’ai enregistré de la même manière que les 200 que j’ai faits dans les 14 dernières années… des têtes de lectures propres… les micros placés à la bonne place… ne jamais laisser la réalisation prendre plus de place que la musique ». Je me suis dit… justement. Ce qui rend un enregistrement exceptionnel, c’est l’écriture, la performance, les arrangements…

Quand j’étais plus jeune, je rêvais d’avoir de l’équipement de pointe. « Un jour, j’aurai assez d’argent pour un micro à condensateur »… des trucs de même. Maintenant, je ne rêve plus que de rencontrer des groupes excellents et intéressants et qu’ils me demandent d’enregistrer leur album.

Est-ce que c’était gratifiant de voir Funeral battre des records dans les radios autour du monde ? Je vois cela comme une victoire inespérée…

Je dois avouer que je me fiche complètement des diffusions radio. En fait si je crois en un groupe et que j’aime les gens qui la font, je suis motivé à enregistrer un disque, même s’il ne vend que 5000 copies. Pour moi, l’industrie de la musique est le monde le plus obscène et répugnant que j’ai vu.

L’industrie n’a rien à voir avec le succès d’Arcade Fire, cependant. Au lieu de communiqués de presse, ce sont les fans qui, par milliers, ont utilisés les SMS, les blogs et les sites Internet pour faire du bouche à oreille… L’industrie ne les a remarqué que quand elle n’a plus eu le choix. Tu ne trouves pas ça cool ???

Je pense que ça a plus à voir avec le fait qu’ils ont fait des shows pendant deux ou trois ans avant de sortir Funeral. C’est ça qui a fait parler les gens… Et ils en auraient parlé même sans Internet. C’est encore et toujours le meilleur conseil que je puisse donner à n’importe quel groupe : FAITES DES SHOWS !!!

Tu décris souvent ton rôle de réalisateur comme celui d’une sage-femme… Comment aides-tu un groupe à donner le meilleur de lui-même ?

À l’origine, on enregistrait pour garder une trace, une archive. Avec le multipiste, c’est devenu un processus de création. Bien sûr, ça a permis de merveilleuses inventions, mais ça a surtout contribué à ce que la plupart des disques deviennent des vrais trucages. On demande à l’auditeur de croire que ce qu’il entend est un groupe en train de performer, alors que ce n’est qu’un assemblage de petits morceaux. Les ordinateurs ont contribué à pousser ce mensonge encore plus loin, et mon but est de ne surtout pas participer à ça. Je cherche à offrir un témoignage le plus fidèle possible de ce qui se passe dans le live room. Cela implique que les musiciens soient aussi à l’aise en studio que dans leur lieu de pratique. Trop de niaisage avec les micros et les tests de son ne fait qu’intimider les artistes, qui se sentent comme observés au microscope. C’est pour ça j’aime faire les choses vite, ne pas nécessairement passer des heures à comparer deux micros entre eux pour, par exemple, enregistrer le snare. Je ne fais pas l’apologie de la négligence, là : comme j’ai 14 ans d’expérience en enregistrement, j’ai accumulé les connaissances qui me permettent d’être aussi spontané dans mes choix.

À ton avis, est-ce que les plus jeunes sont réellement touchés par des disques avec des timbres, des tempos et des hauteurs parfaitement programmés ?

Si la chute du Troisième Reich et l’eugénisme nous ont appris quoi que ce soit, c’est bien le danger de prétendre définir la « perfection », et de vouloir aller vers cet idéal à tout prix. Bricoler les hauteurs et le tempo enlève toute sensualité à une pièce. Pour moi, c’est une perte terrible. Je ne veux pas dire qu’il faut des erreurs flagrantes dans un enregistrement pour qu’il ait l’air plus humain… Mais juste que cela m’ennuie profondément d’écouter une musique qu’on a essayé de rendre « parfaite ».

Comment fais-tu pour gérer les gros problèmes de performance qui pourraient avoir un mauvais impact sur le produit final ? Je me rappelle d’un échange entre un musicien et un ingénieur du son : le musicien : « tu m’as fait enregistrer cette ligne 60 fois, man ! ». Réalisateur : « ouais pis tu m’as fait 60 prises pourries. »

C’est drôle ça ! Hum… eh bien… J’essaye d’être vraiment délicat avec ce genre de choses. Je pense que c’est important que le disque soit un reflet fidèle du point où en est rendu un groupe. Evidemment, ça se peut qu’on soit dans un mauvais jour… Mais j’essaye de faire en sorte que l’enregistrement sonne comme si le groupe jouait à son meilleur. Tu parles de « produit final » comme si c’était quelque chose de séparé de la somme des membres du groupe, et je ne crois pas que ce soit le cas.

C’est le cas avec certains réalisateurs, mais je vois ce que tu veux dire…

Il y a aussi la situation où quelqu’un entend quelque chose qu’il vient d’enregistrer, et ça sonne complètement différent de ce qu’il avait prévu… mais c’est totalement différent.

« Les bons micros à la bonne place »… Comment tu gères ça ?

Première chose, ne pas avoir 200 micros aide beaucoup à se décider. D’habitude, j’enregistre plus de pistes que nécessaire, et comme ça je n’ai pas à m’inquiéter de laquelle utiliser sur le moment. Je trouve que c’est un peu hors de propos de te parler d’application spécifique, parce qu’une différence de 2 pouces peut altérer le son de manière drastique… autant que la manière de jouer de la personne.

Est-ce que tu enregistres les voix en live ? 


J’adorerais enregistrer plus souvent les voix en live, mais la plupart des musiciens ne veulent pas s’en soucier pendant qu’on enregistre la section rythmique. En fait, on a fini par prendre une piste de voix de brouillon comme piste finale dans le nouvel album de A Silver Mt. Zion, parce qu’Efrim n’aurait jamais pu enregistrer une piste aussi bonne sans les instruments autour… Donc on l’a laissée malgré la batterie en brut de fond.

Le chant d’Efrim dans la pièce « Horses in the Sky » a un son soigné, plein d’espace. La réverbération dans l’hôtel me semble votre arme secrète – et tu t’en sers bien.


Eh bien… ce chant a été enregistré avec un micro pour le son direct et un autre pour le son réverbéré. Au mix, on a compressé le son direct, et on a ajouté 30 ms de délai au son réverbéré, en pannant le signal retardé à l’opposé du son direct. Le résultat est que la voix d’Efrim a plus de reverb quand il chante plus fort, et le son réverbéré bouge un peu. Cette « astuce » était tellement satisfaisante que nous l’avons utilisée dans quelques autres pièces.

Tu as mentionné quelque part que tu voudrais échanger ta place contre celle d’Alan Lomax. Il y a un « feu de camp chez Garfield » qui est mentionné dans les crédits de « Hang On To Each Other »… Est-ce que vous avez vraiment enregistré dans un feu de camp ???

C’était une des expériences les plus gratifiantes de mon expérience en enregistrement, c’était à mon anniversaire en fait. J’ai passé l’après-midi à m’installer en respirant l’air frais… les soucis de la ville emportés par le vent. On a attendu que la nuit tombe et on a enregistré quelques tounes, éclairés uniquement par la lune et le feu de camp. Cela m’a donné envie de déménager notre studio au bord d’un lac.

Comment as-tu enregistré Funeral d’Arcade Fire ?

On a commencé par enregistrer tout ce que les gens avaient joué en show ou en pratique, et après on a rempli l’espace avec ce que nous tentait. On a fait venir beaucoup d’invités. Beaucoup d’overdubs ont été réalisés en studio. J’aime beaucoup utiliser l’espace stéréo et trouver des petites poches où mettre des petites choses.

Peux-tu m’en dire plus à propos de ces overdubs ? Les sons sont tellement intrigants… 


Le chant sur « Laika » a été enregistré sur un vieux micro à ruban RCA Jr. Velocity, passé dans une pédale de distorsion et enregistré sur deux pistes. Pendant un prémix, Win [Butler] a ajouté accidentellement beaucoup de reverb sur une des pistes. Il a tellement aimé ça qu’on l’a fait au mix… Dans la partie 2 de « Wake Up, » on devait ajouter des claps et un piano, mais il ne nous restait plus qu’une piste. On a juste réuni tout le monde autour d’un seul micro, et on a tout compressé assez fort. C’est une de mes parties favorites de l’enregistrement. Dans « Tunnels, » la guitare de Win [à gauche] est enregistrée en son réverbéré, avec un micro et une gate qui se déclenchait à chaque attaque. Ça sonne comme une aiguille qui saute sur un vinyle ! J’ai supplié Win pour qu’on enregistre à nouveau, et il a refusé. Je me demande combien de personnes on renvoyé leur 45 tours chez Merge en pensant qu’il était défectueux ?

Les Beatles ont toujours pris soin de garder leurs erreurs aussi. Je trouve ça cool…

Quand on a enregistré « Rebellion, » Richie [Richard Reed Parry] devait peser sur le bouton « record » pendant que je jouais de la batterie, et il a oublié d’armer la piste d’overheads. Une fois l’enregistrement terminé, j’ai réalisé que les cymbales n’avaient pas été enregistrées, et la seule chose qu’on avait était la grosse caisse et la caisse claire. Win nous a convaincu de garder ça de même, et Richie a enregistré une autre caisse claire à 15 pieds de distance, qu’on a mixé avec les autres caisses claires qu’on avait déjà.

La caisse claire avec son effet de « boom » dans « Power Out » fait que cette toune rentre vraiment dedans, notamment à la radio.

Cet effet est dû au fait que nous avons laissé la boite à rythme qui jouait une grosse caisse et une caisse claire jouer en même temps que j’enregistrais la vraie batterie. Ça a amélioré la vraie batterie de manière très intéressante.

Je me demandais si vous avez utilisé un métronome pour ce disque !

Nous avons utilisé un métronome sur deux tounes… Pour différentes raisons. Win et moi sommes très fans de comment New Order, dans ses premiers albums, combinait des vraies batteries avec des boites à rythme… donc pour « Power Out » on a programmé une boite à rythme pour jouer quelques lignes, sans savoir si on les garderait ou pas, et après on a enregistré une vraie caisse claire et un charleston. « Power Out » est vraiment un hommage à New Order/Joy Division. Oserais-je même ajouter que certaines  Dare I say certaines lignes ont été… « ehhhem »… empruntées. Je crois que c’était encore plus barbare d’emprunter également des manières d’enregistrer aussi ! Dans « In the Backseat » on a utilisé un métronome parce que toutes les cordes étaient à Montréal pour l’après-midi, mais nous n’avions pas encore enregistré la section rythmique. On a fait jouer les cordes sur un métronome, et on a enregistré la batterie par la suite.

Tim Kingsbury m’a dit que l’album a été mixé « ensemble » par tout le monde. Comment ça a fonctionné ? 


Je suis très mal à l’aise d’accepter trop de crédit pour le son de Funeral parce que, oui, c’était un travail de groupe. J’ai fait la part du lion en installant les micros et en appuyant sur les boutons, mais Richie a fait pas mal de travail également. Pour ce qui est du mixage, d’habitude c’était moi qui réglais la console… Les niveaux de base, le pan, et après je passais le relais à Win pour un moment. Après je revenais pou affiner les choses. Je voulais tout faire pour que les tounes sonnent comme Win les entendait dans sa tête, et si ça impliquait de rester assis sur le sofa pendant une heure, c’était ok. D’habitude je ne travaille pas de même. La plupart du temps je joue avec les faders jusqu’à ce que tout me convienne, et après je demande leur avis aux membres du groupe. Cela ne veut pas dire qu’ils sont exclus du processus au début, parce qu’à ce stade ils sont déjà entendu des prémix, et ils ont donc déjà fait des commentaires qui influent sur le mix final.

Les disques de A Silver Mt. Zion ont le plus grand écart dynamique que j’ai entendu sur CD ! Les disques, de nos jours ne sont pas supposés être aussi forts que possible ?!?


Les mix de A Silver Mt. Zion ont une grande étendue dynamique, ce qui reflète fidèlement leur musique. Nous voulions vraiment conserver cela. Le technicien en mastering nous a donne une plage dynamique de 35dB. Je trouve que la plage dynamique est justement le plus excitant dans la musique. Tellement souvent, un CD va au mastering, et il revient sous une forme tellement différente du mix que tu connais et que tu aimes. Nous sommes très chanceux que ce soit notre très bon ami Harris Newman qui s’occupe du mastering de la plupart de nos enregistrements. Il applique le serment d’Hippocrate : « Ne fais pas de mal ».

C’est ton serment aussi, « ne pas faire de mal » ? 


Je pense que nous devrions revenir à ce temps où aller au studio pour enregistrer était plus une question d’archivage que de création… Si tu prends cette approche, tu te mets au service de la musique d’une manière complètement différente, et tu es plus à l’écoute de l’artiste et de ses pièces. Je pense que le vrai art de l’enregistrement, c’est de trouver un espace de créativité dans cet état d’esprit.

HOWARD BILERMAN À PROPOS DE THALIA ZEDEK

Quand Thalia Zedek t’a approché pour enregistrer son album Trust Not in Those Without Whom Some Touch of Madness, comment t’es-tu senti ?

C’était un honneur. Elle avait fait un peu de guitare et de chant sur un album de Molasses, et je sais qu’elle se sentait vraiment confortable à l’Hôtel. Mais elle avait travaillé avec des musiciens réputés, dans des excellents studios, donc j’ai vraiment vu ça comme une victoire quand elle m’a demandé de l’enregistrer.

Vous avez dit que son groupe « était un peu effrayé de ne pas pouvoir éditer ». C’est comme si l’édition était devenu un filet de sécurité et tu leur enlèves ça ! 


C’est juste qu’ils avaient enregistré leur derniers disques avec un ordinateur, et ils s’inquiétaient de manquer de temps pour faire tout ce qu’ils avaient de besoin sans le temps gagné par l’édition par ordinateur. Comme faire du vélo, puis remettre les roulettes… Il y a toujours cette peur irrationnelle que tu ne sois plus capable d’en faire à nouveau sans les roulettes. Ils ont fait un excellent travail en studio. David Michael Curry (violoncelle) a dit en joke qu’ils était « au sommet de leur pouvoir ». Ils ont nailé chaque piste en maximum trois prises.

Je me demande combien de vrais talents sont empêchés de donner tout ce qu’ils ont au studio… Quelle perte pour nous tous !

Les limitations donnent du meilleur art…

J’adore la guitare slide sur « Evil Hand »… c’est un violon qui joue comme une guitare slide… Non, il y a une guitare slide là-dedans… qu’est-ce qui se passe ? 


Ha, ha! C’est une histoire le fun celle-là. On avait parlé de mettre une guitare slide sur cette piste-là, donc notre ami Harris est venu et a enregistré trois pistes différentes. Au mix, on s’était vraiment habitués aux prémix, qui n’avaient pas de guitare slide, et quand on les rajoutait ça prenait vraiment trop de place. J’ai demandé à Thalia de me donner une demi-heure, et j’ai trouvé les cinq ou six plus beaux « licks » qu’Harris avait joués, et on a juste monté les faders dans ces moments-là. The Wire a qualifié le jeu de Harris comme « plein de goût et de retenue », et j’ai dit à Harris qu’il m’en devait une !

« Hell is in Hello »… ce bout destroy au milieu… YEAH.


C’était le fun à mixer, ça ! C’est dans cette pièce que j’ai fait mon premier splice sur des bandes de 2 pouces. Ils ont enregistré deux prises, et j’aimais vraiment la deuxième, mais y avait eu un gros accrochage au début. Ils étaient vraiment déçus, fait que j’ai suggéré de prendre la première minute de la première prise. Ils m’ont demandé si j’avais déjà fait un splice dans ma vie, et je leur ai dit que j’avais déjà fait ça des centaines de fois. Je leur ai juste pas dit que c’était sur des bandes ¼ de pouce. Ce splice-là c’était comme faire un exercice de cardio pendant une heure !

Jouer la grosse caisse en solo ?


Ouais… pour bien la découper sur les bandes. En fait, j’ai importé les deux prises dans l’ordinateur pour voir si mon découpage allait marcher. Quand ils m’ont dit ok pour splicer, je n’ai pas coupé tout de suite la bande, J’ai dit au band : «  écoutez, le pire qui peut arriver, c’est qu’on devra faire une autre prise… c’est ça qui est ça. Le mieux ce serait de sauver cette prise de 12 minutes qui est vraiment géniale. On a pas mal improvisé, et ils ont nailé ça sur la dernière prise, mon idée était qu’il fallait tout faire pour « sauver » celle-là. Ça aurait été une pièce pop de 3 minutes, je leur aurai dit de la refaire.

Est-ce que Thalia recherchait un son particulier quand elle est venue au studio ?

Ça fait plus de 20 ans que Thalia enregistre des disques. Elle avait une idée très claire de comment elle voulait que sa voix sonne, juste parce qu’elle est tellement habituée à entendre sa voix passer par des speakers. C’est vraiment génial de travailler avec des artistes qui savent ce qu’ils veulent.

Merci à Howard Bilerman, professeur invité à RAC, réalisateur de disques talentueux et sensible, ingénieur du son et musicien, et une personne adorable.