Dr Dre, dont la collection personnelle de musique comprenait soi-disant 80 000 disques, a une connaissance musicale presque encyclopédique et une oreille fine pour dénicher les meilleurs éléments d’une chanson. Sa capacité à découvrir et à faire revivre des musiques plus anciennes lui a permis de devenir le célèbre producteur qu’il est aujourd’hui. Dans cet article, nous allons nous pencher sur certaines des chansons les plus influentes de Dre et examiner comment ses techniques d’échantillonnage (sampling) ont contribué à l’énorme succès qu’il a obtenu en tant que producteur.
Illustration avec l’aimable autorisation d’Evgeny Parfenov.
Andre Romelle Young, plus connu sous le nom de Dr Dre, est l’un des producteurs de hip-hop les plus respectés, avec une fortune estimée à 800 millions de dollars. Né à Compton, en Californie, en 1965, de parents chanteurs et musiciens, il a hérité d’une passion pour la musique dès son plus jeune âge. Même à l’école, André préférait de loin concentrer ses efforts sur la création musicale. Il a finalement réussi à transformer sa passion en une carrière en tant que DJ pour le groupe World Class Wreckin’ Cru, basé à Los Angeles en 1984. Grâce aux relations qu’il a nouées en travaillant sur la scène des boîtes de nuit, il a rapidement formé le groupe de hip-hop N.W.A. avec Eazy-E, Ice Cube, DJ Yella et MC Ren.The Arabian Prince et The D.O.C. le rejoignent également à l’époque où Straight Outta Compton sort en 1988.
Le Sampling
Aux débuts du hip-hop, les DJ et les producteurs allaient « couper » (chop up) un disque qu’ils aimaient, y ajouter un rythme et le considérer comme leur propre création. Tout a changé en 1989, lorsque les membres des Turtles ont poursuivi De La Soul en justice pour avoir utilisé un échantillon non approuvé de leur morceau « You Showed Me » de 1969. Après cet incident, les producteurs et les maisons de disques ont dû s’assurer que chaque échantillon avait été autorisé, ce qui a entraîné une baisse significative de l’utilisation des échantillons. Cela est devenu un énorme avantage pour des producteurs comme Dre, qui, dans « Let Me Ride », se vante presque d’avoir réussi à faire approuver des échantillons par Parliament, James Brown et Bill Withers..
Interpretation
Cependant, Dre finira par utiliser une technique de production appelée « interpolation » en anglais. Dans la musique populaire, ce terme signifie prendre la mélodie d’une chanson et la ré-enregistrer au lieu de l’échantillonner directement. L’utilisation de synthétiseurs et de groupes permettant de re-crée la musique a permis à Dre de bénéficier d’une plus grande flexibilité dans l’environnement du studio, ce qui l’a aidé à contourner les coûteux problèmes de licence. Un excellent exemple de cette technique en action est le morceau « Phone Tap », produit par Dre, où un riff de guitare de la chanson « Petite Fleur » de Chris Barber’s Jazz Band est « interprété ». Le riff est enregistré dans la même tonalité, mais avec moins de réverbération et sans la douce batterie de jazz.
La Diversification
Jusqu’en 1999, Dre s’est procuré la plupart de ses samples sur des disques de soul, de R&B et de funk, mais lorsqu’il a commencé à travailler avec Eminem, il a élargi ses horizons et a commencé à incorporer d’autres genres dans les principales mélodies de ses chansons. Sur « Murder Ink », l’ensemble du morceau est basé sur le riff de piano anxiogène du film d’horreur Halloween de John Carpenter, marquant un écart important par rapport aux samples utilisés de manière formelle comme « The Funky Drummer » de James Brown et « Funky Worm » de Ohio Player.
Discographie de Dr Dre
1. N.W.A. – « Dopeman »
Compton, California, 1988
Il s’agit d’un morceau de Dre très ancien qui présente l’un des premiers exemples du synthé ondulant qui est venu définir le son du G-funk. L’échantillon de synthé est tiré du breakdown de « Funky Worm », et est emprunté presque intégralement, conformément à la façon dont la plupart des producteurs utilisaient les échantillons à cette époque. Le morceau comporte également des paroles de Easy-E empruntées au film « Scarface » : » To be a dopeman, boy, you must qualify / don’t get high off your own supply. » Il y a aussi un riff de batterie qui peut être entendu en premier sur « Dance to the Drummer’s Beat » de Herman Kelly & Life, et de courts extraits vocaux sont tirés de « My Posse » de C.I.A., et « Freestyle » de Roxanne Shanté.
Intro & sample principal de Ohio Players – « Funky Worm »
Dayton, Ohio, 1972
(Écoutez le sample à 0:48)
Sample rythmique de Herman Kelly & Life – « Dance to the Drummer’s Beat »
Miami, Florida 1978
Sample vocal de C.I.A. – « My Posse »
Los Angeles, California, 1987
(Écoutez le sample à 4:26)
Sample vocal de Roxanne Shante – « Freestyle »
Queens, New York
2. Dr. Dre ft. Snoop Dogg, Jewell, & RC – « Let Me Ride »
Los Angeles, California, 1992
Dre augmente légèrement la vitesse du synthétiseur ondulant de « Mothership Connection » de Parliament pour construire « Let Me Ride », donnant au nouveau morceau un son G-funk classique. On peut entendre l’interpretation de « Swing Down, Sweet Chariot » de Parliament dans les paroles de « Swing down sweet chariot and let me ride » de Snoop, ainsi qu’un court clip vocal tiré de l’original. Contrairement au travail ultérieur de Dre, cette chanson est presque entièrement créée à partir de samples. La batterie est directement issue de « Kissing My Love » et « Funky Drummer », et un rythme de « Ruff Rhyme » est audible autour des trois quarts du morceau de Dre.
Instrument & sample principal de Parliament – « Mothership Connection (Star Child) »
Plainfield, New Jersey, 1975
(Écoutez le sample à 5:25)
Sample rythmique de Bill Withers – « Kissing My Love »
Slab Fork, West Virginia, 1972
Sample rythnique de James Brown – « Funky Drummer »
USA, 1970
(Écoutez le sample à 5:31)
Sample vocal (refrain) de Parliament – « Swing Down, Sweet Chariot (Live/1977) »
Plainfield, New Jersey, 1977
Sample rythmique de King Tee – « Ruff Rhyme (Back Again) »
Compton, California, 1990
3. Dr. Dre ft. Snoop Doggy Dogg & Daz Dillinger – « Lil’ Ghetto Boy »
Los Angeles, California, 1992
Ce morceau met en scène la tentative de Dre de faire la lumière sur les méfaits de la violence armée, souvent présentée de manière flagrante dans le gangsta rap. L’ambiance lunatique et le refrain obsédant sont tirés d’un morceau du chanteur et musicien de soul Donny Hathaway. De subtiles touches d’optimisme dans la chanson proviennent d’un échantillon funky tiré de « I Get Lifted » de KC & The Sunshine Band, et d’une section calme de violons de « Endless Flight » de Rodney Franklin.
Sample instrumental de Donny Hathaway – « Little Ghetto Boy »
Chicago, Illinois, 1972
Sample rythmique funky de KC & The Sunshine Band – « I Get Lifted »
Hialeah, Florida, 1975
Sample de violion de Rodney Franklin – « Endless Flight »
California, 1981
4. Tupac ft. Dr. Dre & Roger Troutman – « California Love »
Los Angeles, California, 1995
« California Love » était le single de retour de Tupac après une longue peine de prison, et Dre savait que ce titre devait être rock, badass et original pour susciter à nouveau l’intérêt du public. Dre y est parvenu en combinant brillamment le piano mécanique de « Woman to Woman » avec un refrain hymnique qui était une ode à la vie en Californie. Il a donné une touche d’intelligence à l’ensemble en ressuscitant Roger Troutman et son « talk box » pour le chant, une technique qui a été utilisée pour interpréter les paroles de « West Coast Poplock » de Ronnie Hudson & The Street People.
Sample mélodie principalJoe Cocker – « Woman To Woman »
Sheffield, England, 1972
Sample « talk box », voix et interpretation de Zapp & Roger – « Dance Floor »
Dayton, Ohio, 1982
(Écoutez le sample à 2:11)
Interpretation des paroles du pré-refreain de Ronnie Hudson – « West Coast Poplock »
Hollywood, California 1982
(Écoutez le sample à 0:19)
5. Blackstreet – « No Diggity »
New York City, New York, 1996
En 1996, Dr Dre était sur le point de quitter Death Row Records, la société qu’il avait fondée avec Suge Knight. À cette époque, il a proposé le rythme « No Diggity » à Tupac, qui l’a refusé. Dre s’est plutôt adressé au groupe R&B Blackstreet pour être pris en considération. Tupac n’était pas content quand ils ont pris le rythme et fait succes, ce qui a conduit Tupac à faire sa propre chanson avec le rythme « No Diggity ». La version finale de Dre comporte un riff acoustique doux et un « mmm hmmm » vocal du suave Bill Withers, créant une chanson simple et accrocheuse qui est également devenue le plus grand succès de Blackstreet.
Sample instrumental de Bill Withers – « Grandma’s Hands »
Slab Fork, West Virginia, 1971
6. The Firm – « Phone Tap »
New York City, New York, 1997
The Firm a été l’un des premiers groupes pour lesquels Dre a produit avec son nouveau label Aftermath. Bien que leur projet The Album n’ait pas été à la hauteur des attentes financières, c’était un excellent exemple de la capacité de Dre à se réinventer musicalement. Sur « Phone Tap », il superpose un morceau de jazz lunatique et down-tempo à un rythme classique, créant ainsi une atmosphère qui s’écarte vraiment du son G-funk dont il a été le pionnier.
Sample instrumental de Chris Barber Band – « Petite Fleur »
Hertfordshire, England, 1958
(Écoutez le sample à 1:45)
7. Dr. Dre ft. Hittman & Ms. Roq – « Murder Ink »
Los Angeles, California, 1999
Quatorze suites ont été réalisées pour Halloween depuis sa sortie originale en 1978, laissant à la pop culture des moments inoubliables comme le terrifiant « masque d’Halloween » et le riff de piano mineures qui provoque la panique chaque fois que Michael Myers est dans le coin. Sur « Murder Ink », Dre échantillonne le piano d’Halloween pour créer un lit troublant qui accompagne parfaitement les paroles troublantes du titre. « Murder Ink » interprète également le morceau « Here Comes the Hotstepper » du rappeur jamaïcain Ini Kamoze pour le refrain, que Dre modifie pour qu’il sonne beaucoup plus sinistre que l’original, qui est plus optimiste.
Sample mélodique/interpretation de John Carpenter – « Halloween »
USA, 1978
Sample vocal/interpretation de Ini Kamoze – « Here Comes the Hotstepper »
Saint Mary, Jamaica, 1994
(Écoutez le sample à 0:21)
8. Eminem – « My Name Is »
St. Joseph, Missouri, 1999
Après s’être classé deuxième aux Rap Olympiques de Los Angeles en 1997, l’EP Slim Shady d’Eminem a été enregistré par Jimmy Iovine et Dr Dre chez Aftermath Records. Dre a déclaré qu’il n’avait « jamais rien trouvé sur une cassette démo ou un CD », mais après avoir entendu Em, il a immédiatement dit « trouvez-le ». Afin de mettre en valeur le lyrisme astucieux et la rapidité d’exécution d’Eminem, Dre s’est tourné vers la chanson de Labbi Siffre « I Got The… ». L’intro de la chanson avait été préalablement samplée par Jay-Z (entre autres), et Dre a donc opté pour le break, qui comporte un riff d’orgue vintage. Le son excentrique était bien adapté au personnage d’Eminem, et il a contribué à la construction de ce single double platine.
Sample instrumental/interpretation de Labi Siffre – « I Got The… »
London, England, 1975
(Écoutez le sample à 2:30)
9. Dr. Dre ft. Snoop Dog – « Still D.R.E. »
Los Angeles, California, 1999
Sept ans après la sortie de son premier album, The Chronic, qui définit le genre, Dre a finalement sortie 2001, réussissant non seulement à se réinventer, mais aussi à briser toutes les attentes des critiques. Selon une interview de Scott Storch, de la Red Bull Music Academy, qui a créé les sons de piano emblématiques de « Still D.R.E. », la liberté créative que Dre a encouragée dans son studio a été la clé de la réalisation du morceau : Dre a programmé le kick et la snare… Je faisais juste des trucs au piano. J’ai commencé à jouer, « bling, bling, bling » sur ce motif de batterie qu’il avait. Et il a enfoncé sa tête et il était comme, « C’est ça ». A la fin de la journée, la chanson a été envoyée à Jay-Z pour écrire… « Still D.R.E. » a été le premier single du multi-platine 2001. Il comporte une interprétation lyrique de la chanson « Serial Killa » qui figurait sur le premier album de Snoop, Doggystyle.
Interpretation des paroles de Snoop Dogg – « Serial Killa (feat. The D.O.C., Tha Dogg Pound & RBX) »
Los Angeles, California, 1993
(Écoutez le sample à 0:39)
10. Dr. Dre ft. Snoop Dogg, Nate Dogg, & Kurupt – « The Next Episode »
Los Angeles, California, 1999
« The Next Episode » est la suite du grand succès de Dre en 2001, « Nuthin’ But a ‘G’ Thang », tiré de son premier album The Chronic. Mike Elizondo jouait de la basse sur l’album et n’avait que des éloges à faire sur les habitudes de production de Dre : « C’est un maître dans l’art des arrangements. Pas de remplissage, juste les ingrédients essentiels pour faire une chanson à succès… faire quelque chose qui sonne bien et qui se fait sentir bien ». La capacité de Dre à créer des mélodies simples mais magistrales est pleinement mise en évidence avec son échantillonnage de « The Edge » de David McCallum, où la guitare épurée est un riff parfait pour les MCs qui veulent rapper.
Interpretation instrumental de David McCallum – « The Edge »
Glasgow, Scotland, 1966
11. Dr. Dre ft. Eminem & Xzibit – « What’s The Difference »
Los Angeles, California, 1999
L’une des plus grandes capacités de Dre est de prendre des vinyles poussiéreux et de les utiliser pour créer des morceaux fantastiques avec des techniques de production hip-hop épurées. En posant un extrait de « Parce Que Tu Crois » du crooner des années 60 Charles Aznavour sur un beat simple mais lourd, Dre a transformé un une mélodie pop nostalgique en un classique intemporel du hip hop.
Interpretation instrumental de Charles Aznavour – « Parce que tu crois »
Paris, France, 1966
12. Eminem – « Kill You »
St. Joseph, Missouri, 2000
Dans les années 1980, les producteurs de hip-hop pouvaient échantillonner à peu près n’importe quel disque, l’incorporer dans un morceau et s’approprier la chanson. Tout a changé en 1989, lorsque The Turtles a gagné son procès contre De La Soul sur 3 Feet High and Rising pour un échantillon non autorisé. Depuis lors, les producteurs et les maisons de disques doivent s’assurer que chaque échantillon est autorisé. C’est pourquoi il est si surprenant que le Dr Dre ait utilisé « Pulsion » de Jacques Loussier sans autorisation. Le pianiste français a poursuivi Interscope en justice pour 10 millions de dollars, et l’affaire a finalement été réglée à l’amiable.
Interpretation instrumental de Jacques Loussier – « Pulsion »
Angers, France, 1979
13. Eminem, Dr. Dre & 50 Cent – « Crack A Bottle »
St. Joseph, Missouri, 2009
Dr Dre faisait de profonde recherche lorsqu’il a découvert « Mais dans la lumière » de Mike Brant, le chanteur européen, pour le riff de piano principal de « Crack a Bottle ». Ce morceau est un excellent exemple de la façon dont Dre trouve l’inspiration pour ses rythmes en parcourant les albums R&B des années 60 et 70. Ici, il interprète également la batterie de « The Rainmaker » de The 5th Dimension. En supprimant une partie de la caisse claire de l’original, il crée un rythme plus lourd, mieux adapté au rap.
Interpretation instrumental de Mike Brant – « Mais dans la lumière »
Angers, France, 1970
Sample rythmique de The 5th Dimension – « The Rainmaker »
Hialeah, Florida, 1972
(Écoutez le sample à 0:05)
14. Dr. Dre ft. Justus & BJ the Chicago Kid – « It’s All On Me »
Los Angeles, California, 2015
Sur « It’s All On Me », Dre utilise magistralement une version interprétée d’un enregistrement de la chorale des jeunes de la SCI de 1969, en la superposant à un rythme de base de boom bap. Avec des chœurs angéliques et des paroles introspectives, cette chanson transcende le gospel hip hop, tandis que Dre se lance à nouveau dans des mélanges de genres uniques.
Sample instrumental/interpretation de S. C. I. Youth Choir – « The Lord Will Make A Way »
United States, 1969
(Écoutez le sample à 0:14)